Je ne peux pas te protéger
sans serrer
un sabre
dans mes mains.


Or je ne peux point
t'embrasser
le sabre
à la main.

Né sur terre étrangère, rapporté à bord d'oiseau de fer.
Fosse intérieure que rien n'a jamais pu combler.
Regard vide et froid, on lui disait déjà.
Le silence, pendant toute une année.

Famille de quatre.
Cadette toujours trop jeune.
Paternel rentré toujours trop tard.
Mère comprend toujours de travers.

À quoi bon essayer de parler ?
C'est le langage des hommes.
N'est bon qu'à produire malentendus.
Qu'à faire éclater des guerres.

Chercher à échapper grillages
murs
foules et frontières.
On trouve sa place vide
Il disparaît pendant des jours.

Parfois, on tente de le ramener auprès des hommes.
À cela, il répond par colères prodigieuses.
Balles de plomb assassines et muettes.

Parfois, on empoigne col ou poignet.
Mais les bêtes insupportent la contrainte.
Elles insupportent aussi qu'on les regarde trop longtemps.
Qu'on souligne leur différence.
La forme de leurs yeux.
La couleur de leur toison qui ne renvoie jamais la lumière.

Alors elles blessent. Mordent et frappent sans distinction.

Amis, familles, amants.
Lui ne fait pas la différence
Puisqu'il a le regard vide et froid.

Personne n'est là pour voir la bête souffrir.
Elle se cache derrière la rage, la haine, la violence
Derrière un chagrin immense.
Mais ça fait si longtemps qu'elle ne parle pas
Alors comment dire que ça fait mal.

Famille de trois.
Paternel cette fois jamais rentré.
Il devient seul homme parmi les femmes.
C'est à lui que revient le rôle de figure masculine.

Pattes sous ventre des machines
Ferrailles hurlantes et fumantes
Des veines tordues à l'huile ardente.
N'a pas besoin de parler. N'a besoin que de réparer.

Faire ce que les autres n'ont pu faire pour lui.

Et il est habile, Aldo.
Derrière masque de silence
Derrière regard vide et froid.
On fait confiance à celui qui n'a jamais peur de rien.
Chien de tête qui se dresse quand viennent les tempêtes.

Peau épaisse qui cogne, encaisse bleus et balafres.
Monts des phalanges comptent chaque visage esquinté.
Chicots tombés et os cassés.
Métropole hostile, jungle urbaine où chasser.

Proies vulnérables trouvent refuge derrière sa carcasse puissante.
Quémander salut, protection et services.
Rien que ces poings ne sachent fendre en deux.
Et parce qu'elle comprend
La bête défend.
Elle sauve, traque, rend justice et aide à grandir.

Mais jungle est impitoyable et n'épargne aucun de ses enfants.
Elle éradique même ses créatures les plus redoutables
n'offre ni abri ni soleil à ceux dont la toison est trop noire.

Soir d'été.
Chaleur étouffante entres lames de bétons rouges
Rouges, rouges
Comme sa peau qui transpire son dernier combat.
Sa silhouette massive se traîne en fantôme,
bouscule tables et chaises
bouscule épaules et humanité apeurée.

Derrière comptoir, personnel attrape combiné pour appeler sirènes.
Décrire la bête couverte de son crime
poings maculés jusqu'à l'os.

Retranché derrière porte du fond
Là où ni murmure ni regard ne peuvent l'atteindre.
Face au miroir ébréché, sa gueule déglinguée se fend d'un rictus.
C'est à ça qu'on ressemble, alors.
Qu'une bête ressemble au crépuscule de sa vie.

Il entend la horde tambouriner à la porte.
L'attendre pour museler définitivement l'animal.
Ce sera chaînes et carcans
murs de béton et tambouilles fades.

On frappe plus fort.
Verrou cèdera bientôt.
Mais animal n'est pas pressé.

Au contraire
sérénité meut ses gestes pour
récupérer eau entre paumes placées en puits.
Purger épiderme du cruor.
Se donner l'air un peu beau pour la pénitence.

C'est rare de le voir se préoccuper de son apparence, Aldo.
Rare de le voir sans un froncement de sourcils.
Sans la rage aux dents.

Rare de le voir
un peu humain.

Et même quand sa paume saisit la poignée
Derrière son expression de repentance

Traverse le vœu d'être sauvé.