❥Tu es un otage. Un otage de ce village, de ta mémoire perdue; otage de toi-même. Du haut de ton mètre quatre-vingt-huit, tu as l’apparence d’un homme costaud, fort, qui n’a peur de rien, mais au fond, tu es terrifié à l’idée d’être ici. Cette terreur provoque ainsi chez toi ce caractère froid bien à toi; ce caractère dont quelques uns ne manquent pas de critiquer. Balivernes. Ils ne peuvent te comprendre. Tu es perdu, sans repère. Tu cherches uniquement à survivre dans ce semblant d’utopie, le temps qu’il te faudra pour y trouver un échappatoire. Tu n’es pas là pour te faire des amis et tu n’hésites pas à repousser ceux tentant de t’approcher. Qui sait leurs véritables intentions? Qui se cache derrière toute cette manigance? Tu as du mal à concevoir que cet endroit existe bel et bien, là où vont tous ceux cherchant à fuir. De quoi t'échappes-tu? Tu te poses cette question tous les jours, à chaque seconde qui passe. Si seulement tu pouvais te souvenir de cette vie avant celle-ci. Si seulement tu pouvais y voir plus clair. Si seulement tu pouvais savoir qui tu es…

Il y a ce bras et ces diverses cicatrices sur ton corps… Ces seuls indices. Mais encore… Tu n’es pas certain des réponses qu’ils regorgent. Tu avais peut-être simplement perdu ton bras dans un malheureux incident. Cela dit, tu te souviens parfaitement comment le réparer en cas d’ennuis, tel un réflexe ancré dans ta chair. Grâce à cela, tu peux bénéficier d’une certaine indépendance, n’ayant besoin de personne pour te venir en aide.

Tu ne sais pas vraiment si tu aimes cette solitude. Parfois, tu crois ressentir ce vide au fond de ta poitrine. Seul, perdu dans le silence, tu pleures lorsque ce vide te fait souffrir. Toutefois, tu préfères cela au reste. Il t’est hors de question de t’attacher aux autres habitants. Une fois que tu trouveras le chemin vers la sortie, tu quitteras ce monde sans te retourner, retrouvant la vie qui t’échappe depuis trop longtemps à tes yeux. Ton passage à Phymeris ne sera que mauvais souvenir.

Une étrange porte…. Un blanc immaculé, puis le noir complet. Tu ouvres difficilement les yeux. Ta vision est trouble. Tu bats rapidement des paupières, adaptant tes pupilles à la lumière éclatante du soleil. Tu regardes autour de toi: des visages inconnus t’observent, sourire aux lèvres. Qui sont-ils? Ton corps te semble incroyablement lourd. Tu veux te lever, fuir à toute vitesse, mais tu en es incapable. Que se passe-t-il? Tu fixes le plafond, la pièce, la fenêtre. Où es-tu? Un sentiment de panique te submerge.

“Bienvenue à Phymeris”, t’annonce l’une de ces personnes, “Quel est ton nom?” te demande une autre.

Tu te redresses avec difficulté sur le lit. Ta main droite se porte à ton front. Tu as mal au crâne; douleur te provoquant un léger grognement. Pourquoi ta main te semble si froide? Tu l’as regarde avec stupeur. Elle n’est pas humaine. Tu ne comprends pas. Tu lances un regard terrifié aux personnes présentes dans la pièce. Étaient-ce les responsables? Leurs airs intrigués réussissent à te convaincre du contraire. Entre le papi, ces jeunes femmes et ces deux enfants, pas moyen qu’ils soient les auteurs de cette modification.

“Qui je suis?”, arrives-tu difficilement à articuler.

Bien que mal, tu tentes de répondre à cette question, mais rien ne sort d’entre tes lèvres. Ton nom… Quel est ton nom? Tu n’arrives pas à te souvenir. Ton cœur bat à toute allure. Tu ne comprends pas. Tu paniques intérieurement. Cela te semblait si évident, mais rien. C’était le vide le plus total.

“Je… Je n’en sais rien”

L’une des femmes dépose sa main sur ton épaule, cherchant à te réconforter avec un paisible sourire. Tu hésites à la repousser violemment, mais tu te contiens de le faire.

“Ne t’inquiètes pas. Tu dois être complètement déboussolé en ce moment. Reposes-toi. Je suis certaine que ça te reviendra”

N’ayant nul autre choix, tu écoutes son conseil et t’allonges à nouveau sur le lit. Néanmoins, les jours passèrent, puis les semaines, les mois… Toujours rien. Tu n’arrivais pas à te rappeler de qui tu es, de comment tu es arrivé ici. Tu rêves parfois d’une porte lumineuse. Tu te souviens d’avoir franchi son seuil, mais sans plus. Où se trouvait-elle? Ça non plus, tu ne savais répondre. Certains villageois racontaient ici et là que pour se rendre à Phymeris, tous ces habitants avaient cherché à fuir quelque chose. Un détail qui te semblait utile aux premiers abords, mais n’arrivait toujours pas à te rendre la mémoire. Au contraire, tu te posais davantage de questions.

Méfiant, tu t'exclus du reste de la population. Malgré ton tempérament calme, tu fais preuve de cette froideur envers les autres. Tu ne souhaites pas réellement t’intégrer. Tu les évites et repousses immédiatement ceux qui s’approchent, peu importe leurs bonnes intentions, te montrant parfois agressif envers ceux qui insistent. Tu ne veux pas de leur pitié. Tu souhaites seulement fuir, retrouver tes souvenirs; ton nom. Cela faisait maintenant des mois. Tu ne perds pas espoir pour autant.

Malgré tout cela, tu n’as pas eu le choix de faire ta part, toi aussi, au sein du village. Pour se faire, étant donné ton gabarit et ta force physique, tu choisis le métier de bûcheron. Tu sais ainsi te rendre utile, sans compter que ce métier te permet également de vivre près de la forêt, seul, et loin de tous. La forêt devint ton refuge. Tu en connus rapidement les moindre recoins. Tu avais besoin de devenir indépendant et cet endroit t'offrait cette possibilité. Tu te rends parfois au village pour livrer le bois ou faire quelques emplettes, sinon ce sont les villageois qui te rendent visite afin de se procurer les ressources dont ils ont besoin. John est devenu ton nom. Plus exactement, John Doe. Ce nom attribué aux dépouilles sans visage n’était qu’un simple surnom; une plaisanterie le temps que tu puisses retrouver tes souvenirs et ton véritable nom. Aujourd’hui, ce nom est devenu ton identité, que tu le veuilles ou non.