ft. Hunter - The owl house
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❥D’aussi loin qu’il se souvienne, Ariel a toujours voulu plaire à tout le monde. Faire de la gym parce que Maman l’y avait poussé et tout faire pour exceller aux barres asymétriques alors qu’il crevait d’envie d’aller faire des barres parallèles avec les garçons. Faire des efforts surhumains pour avoir de bonnes notes dans toutes les matières alors que la plupart l’ennuyaient profondément parce que Papa disait que c’est important pour réussir dans la vie. Se faire discret en classe parce que la maîtresse n’aimait pas les pipelettes. Jouer à l’élastique dans la cour plutôt qu’au foot, pour éviter d’être rejeté et par les filles et par les garçons. Toujours être bien à sa place. Ne pas sortir des cases. Ne pas se faire remarquer. Être sage.
A part Mamie, tout le monde voulait qu’il soit gentil, souriant, silencieux. Mais Mamie l’invitait à prendre de la place, à crier, à chanter, à danser sans essayer d’être gracieux, et à rendre les coups si on l'embêtait. Mamie demandait même à son grand frère de lui prêter son skate et de le laisser les accompagner, ses copains et lui, quand ils allaient au skatepark. Mamie lui apprenait à jouer, aux dames sans jamais faire exprès de le laisser gagner, aux dés en misant des pistaches, au poker en lui apprenant à tricher discrètement. Mamie lui apprenait à cuisiner les gâteaux qu’il préférait et à les engouffrer avant que Maman ne débarque et ne s’horrifie de la quantité de beurre ou de sucre qu’il pouvait manger, et de l'apparence qu’il pourrait avoir dans son justaucorps.
Ariel avait l’impression de mener une double vie. Celle de l’enfant parfait qu’on voulait qu’il soit, et la vraie. La sienne. Remplie de choses qu’il aime. Loin des regards des autres.
C’était gérable. Jusqu’à un certain point. Jusqu’à l’accident de voiture dont il ressorti avec des cicatrices et des cauchemars. Qui l'empêcha d’aller au collège pendant quelques mois, qui l'empêchait de remonter sur le vieux skate de son frère. Qui valut à Papa de se renfermer sur lui-même et de laisser sortir sa culpabilité en éclats de voix.
Au début, Ariel avait hâte de retourner en classe, pour échapper aux cris à la maison. Il n’avait pas conscience de la peine et de la douleur que les regards tantôt dégoûtés tantôt désolés que ses camarades posaient sur sa peau fraîchement réparée lui causeraient.
Alors pour exorciser ce mal être, il traçait de nouvelles cicatrices sur ses bras. Personne ne le remarquerai, Papa n’osait plus poser les yeux sur lui et Maman ne semblait plus faire attention à son corps depuis que l’accident lui avait donné une excellente excuse pour ne plus jamais remettre de justaucorps à paillettes. Parce que personne ne prêterait attention à ses pieds pointés face à tant de peau abîmée.
Personne ne le remarquerai à part Mamie. Pour éviter de lui faire de la peine, il cachait ses nouvelles blessures sous de larges sweats. Il se cachait aussi à lui-même son corps qui changeait d'une façon qui ne lui convenait pas.
Il continuait comme ça Ariel, à faire semblant pour plaire à tout le monde, à faire comme si les remarques ou les coups de ses camarades de classe ne l'atteignaient pas, à jouer un rôle pour correspondre aux attentes de
son amoureux, à suivre les chemins qu’on traçait pour lui. Lui traçait simplement plus de lignes sur ses bras.
Si ça pouvait rendre ses proches fiers de lui, ça devait valoir le coup de contracter ce prêt pour cette école de commerce dont il essayait de se convaincre qu’elle lui offrirait la vie dont il avait envie.
Si c’était ce qu’on attendait de lui, bien sûr qu’il allait s’installer avec
sa moitié, parler d’achat immobilier, de mariage, de bébé. Et peu importe qu’il ait peur de l’engagement, qu’il culpabilise et refoule ses sentiments à chaque fois qu’il tombait amoureux de quelqu’un d’autre, qu’il n’ait aucune envie de porter un bébé. C’était ça la route qu’il devait suivre. Le droit chemin.
Alors il faisait ce qu’on attendait de lui, ne trouvant refuge que chez Mamie. Mamie qui ne comprenait pas ce qu’il faisait avec
lui, mais qui le soutiendrait dans tous ses choix. Chez Mamie, il pouvait rire et chanter sans se sentir juger. Il pouvait retirer ses chaussures à talons. Il pouvait s’adonner à ses “hobbies bizarres chronophages et encombrants”, il pouvait fouiller avec elle les merceries pour trouver toujours plus de pelotes et tricoter des vêtements qu’il n’oserait jamais mettre, il pouvait faire s’entrechoquer ses fuseaux et faire des napperons en dentelle kitchissimes sans que qui que ce soit ne se plaigne du cliquetis du bois entre ses doigts, il pouvait se bricoler un petit métier à tisser pour s’essayer à une nouvelle discipline.
Et si c’était ça la vie qu’il voulait ?
Non. Il n’avait pas fait ces années d’études pour tout laisser tomber. Puis ces “trucs de hippie” ça paye pas, et il a un prêt à rembourser maintenant. Puis ils achètent un appartement, pour ça aussi il faut un métier qui paye. Lui qui aurait tant voulu une maison avec un extérieur… Mais bon,
Chéri voulait rester en centre ville. C’est bien aussi, de s’endormir au doux son des voitures.
Puis il avait tellement l’habitude de se plier en 4 pour faire plaisir que ça lui semblait plus simple de s’enfoncer toujours plus dans ce modèle que d’essayer de s’en éloigner un minimum.
❥Que se passerait-il s’il s’en éloignait ?
”Chéri, je veux changer de voie” Il est là pour gérer le budget du foyer, tout va bien se passer.
Il le soutiendra. Ariel n’a aucune crainte à se faire. Alors il lâche son job et se lance dans une formation de tisserand.
Il a déjà l’impression de respirer un peu plus.
”Chéri, je crois que je crush sur une fille” Super, Ariel n’a qu’à l’inviter à la maison, elle pourrait mettre un peu de piment dans leur couple.
Non, ce n’est pas ce qu’Ariel veut,
il n’a pas compris…
”Papa, je crois que je suis amoureux…se d’une fille.”Oh. Ah… Heu… Après tout, tante Edith est lesbienne et elle est heureuse alors pourquoi pas. Mais surtout il ne faut rien dire à Maman, ça lui briserait le cœur de ne pas avoir de petits enfants. Puis faudrait pas finir comme une vieille folle à chats non plus.
Ce n’est pas vraiment ce qu’Ariel attendait.
”Mamie. Je suis un garçon”Et Mamie le remercie pour sa confiance, Mamie arrête de l’appeler “ma puce” et opte pour un “mon lapin”, Mamie lui a promis de le soutenir dans tous ses choix, et aujourd’hui où il a besoin d’appui, elle est là, fidèle au poste.
Elle se renseigne avec lui, ils cherchent ensemble, elle lui permet de se sentir prêt, à le dire.
Aux parents.
Ce n’est qu’une phase. Ariel va s’en rendre compte. Surtout qu’il ne fasse rien de manière trop précipitée, prendre des hormones ça a des répercussions.
Sans blagues.
A
chéri.
Qui en plus de pas être pédé a été trop con de ne rien voir, après tout, Ariel se laissait aller ces dernier temps. Il ferait mieux de prendre ses affaires et de quitter l’appart.
Il appellera le notaire le lendemain pour parler de racheter la part d’Ariel.
Aïe.
Le voilà à la porte, avec son petit baluchon, ses prêts à rembourser, sa formation, pas de boulot.
Il passe quelques mois sur des canapés. Il veut éviter celui de Mamie, pour ne pas lui causer de soucis, il refuse celui des parents, hors de question de se faire mégenrer une fois rentré, il passe d’amis en amis, vivant dans une valise, regardant son compte en banque se vider petit à petit.
Alors il finit par lâcher sa formation pour trouver un taf alimentaire. Puis un appart. Petit, mal isolé, avec un loyer disproportionné.
Il refuse que Mamie ne l’aide financièrement, elle a d'autres soucis à régler. Mais c’est tout de même grâce à elle qu’Ariel troque cette poitrine qui le rend malade pour deux nouvelles cicatrices et un torse plat. Elle est là, d’ailleurs, la première fois qu’on l’appelle Monsieur. Ils étaient partis acheter de la laine. Ils avaient pour projet de crocheter une couverture ensemble. Mais elle voit moins bien et ses doigts lui font mal.
❥Il savait que ce jour allait arriver. Trop tôt à son goût. Dans 15 ans ça aurait aussi été trop tôt.
Le jour où toute la famille fringuée en noire est réunie. Lui porte un nœud papillon vert. C’est Mamie qui lui avait offert.
Les autres voient ça comme un manque de respect.
Il va de nouveau faire semblant, semblant de s’en foutre, de ce qu’ils pensent. Elle, elle sait que c’est un hommage.
Ils sont tous là, au funérarium à tirer des têtes de 6 pieds de long. Elle aurait voulu qu’on mette du disco. Pas Simon & Garfunkel.
Il aurait voulu être fort, faire illusion une fois de plus, mais ses joues sont trempées de larmes. Il se sent misérable. Il est misérable, avec son compte toujours dans le rouge, son appart miteux, son ex qui l’emmerde avec la vente de l’appartement, son taf pourri, et sa famille qui utilise toujours un prénom qui n’est plus le sien.
Elle lui manque déjà tellement. Plus jamais ils ne joueront au poker ensemble, plus jamais ils n’iront ramasser les feuilles en automne, et cette couverture ne sera jamais terminée.
Il voudrait disparaître. Vite, n’importe où avant que tante Edith ne le prenne dans ses bras. Les toilettes.
❥Les yeux bouffis, il se réveille dans un lit qui n’est pas le sien, dans un monde qui n’est pas le sien, loin des problèmes de thune, loin des problèmes d’appart, loin des problèmes relationnels… Il peut être qui il veut ici. Il peut recommencer à zéro, proprement. Il peut être lui-même.
Ça ne fait qu’un mois et demi qu’il est là et il n’aurait pas pu rêver mieux. Il peut enfin exercer une activité qui lui plait, l’argent n’est plus un problème, tout le monde semble respectueux. A croire qu’il est mort lui aussi et s’est retrouvé dans un petit paradis.
- Spoiler:
Ariel est l’enfant parfait, au prix d’énormément d’efforts. Il est très proche de sa grand-mère.
A 12 ans, il a un accident de voiture dont il ressort couvert de cicatrices.
Il se fait harceler à l’école et l’ambiance à la maison est délétère.
A 16 ans il se met en couple
Il passe son bac brillamment et enchaîne avec une école de commerce, pour faire plaisir à son entourage.
Il commence sa vie professionnelle avec un prêt étudiant à rembourser et contracte un deuxième prêt pour acheter un appart avec son compagnon
Son travail ne lui plait pas, il veut se reconvertir et devenir tisserand
Il fait plusieurs coming out à ses proches. Il n’est ni hétéro ni cisgenre. Ses CO ne sont pas bien reçus.
Il se sépare, enchaîne les petits boulots et les galères.
Sa grand-mère décède, il est dévasté. Aux obsèques il veut se planquer dans les toilettes et se réveille à Phyméris.
A Phyméris il a l’impression de pouvoir être lui-même pour la première fois de sa vie.