ft. lin beifong - tlok
tw mort/perte d’un enfantIls dansent sur des airs anciens, leurs mains se séparent pour mieux se retrouver, le regard brillant, les joues rouges. Même loin de leur terre natale, ils continuent de danser, construisent cette nouvelle vie qu’ils souhaitaient. Et alors, Valeriya.
Elle se glisse dans leurs vies, nouveau-né braillant son mécontentement de se retrouver à l’air libre, nourrisson qui sourit et rit, enfant qui se met debout et qui en profite pour courir dans tout l’appartement. Et au fil du temps, le russe qu’elle babille se transforme en français, et ne subsiste que les airs nostalgiques qui sont chantonnés en prenant sa douche, le dialogue entre ses parents et elle comme un patchwork entre les deux langues qui tentent de s’assembler sans jamais réussir à combler les trous.
Dès que Valeriya est assez grande pour le comprendre, ils lui disent de faire de bonnes études. Pas comme eux, non, pas comme eux. Pourtant, elle aime l’habit de travail de son père, l’odeur de propre de sa maman. Mais, à la fin du lycée, poussée par ses parents, elle choisit les études de droit. Et elle ne cesse de regarder derrière elle.
Mais ses parents la rassurent. Pavel lui tient la main, lui dit que tout ira bien. C’est le fils d’un ami de ses parents. Ils se connaissent depuis le début du lycée, se voient et se revoient. Se sourient, détournent les yeux, laissent leurs doigts se frôler, un appel à plus. Alors, quelques années après le début de ses études, un retard de cycle, et un test positif. Et ils pleurent, parce que la vie risque d’être difficile, mais elle vient également de revêtir quelque chose d’incroyablement beau.
La bague passée au doigt, les registres signés, ils continuent leur vie. Les coffres sont vides et les parents ne sont pas en mesure de les aider, alors pour apaiser l’angoisse de l’avenir, Pavel fait des heures supplémentaires, Valeriya se trouve un travail grâce à sa mère. Et elle continue ses études, vaillante.
Vaillante, jusqu’à ce que la douleur se manifeste, jusqu’à ce que le ventre à peine arrondi se contracte, jusqu’à ce que le médecin entre dans sa chambre et prononce des mots qu’elle n’aurait jamais voulu entendre.
Elle rentre. Reste dans son lit quelques temps. Ne se rend même pas compte qu’elle pleure. Pavel, lui, a bien conscience de ses propres larmes dès qu’il la voit. Il lui parle mais il a mal, pour lui, pour elle, pour l’être qui a existé l’espace de quelques mois. Et c’est trop dur, alors ils suivent le serment, ‘jusqu’à ce que la mort nous sépare’, sans avoir trop imaginé au départ que ça n’allait pas être la leur.
Valeriya se relève. Retourne chez ses parents. Retourne en cours. Elle rêve de l’absence de son enfant, de ses mains vides au milieu de la forêt, du silence des couloirs d’hôpital. Elle n’arrive plus à se concentrer. Et après avoir aligné des mots qui semblaient perdre leur sens au fur et à mesure des minutes qui s’enfuyaient, après des remarques à ses parents qu’elle regrette aujourd’hui, elle ouvre la porte de sa chambre, se retrouve à Phymeris.
A partir de là, tout s’enchaîne. Apprentie céramiste, elle se fait une place, loge à l’auberge où elle voit les arrivants émerger, effrayés, émerveillés. Elle voit Reem. Et elle la revoit. Une main sur l’épaule, ses doigts s’attardant contre la main de l’autre. Des airs russes chantonnés. Des pieds qui valsent. Un appartement, un projet, une enfant. De l’amour plein les yeux, des étincelles qui éclairent le ciel de leur vie, des promesses chuchotées. Le bonheur à l’état pur. Et puis la chute, les accusations fondées, le sentiment de trahison, le cœur qui se déchire, le souffle qui semble manquer, les larmes et les papiers signés.
Depuis, c’est sa boutique et son appartement, son atelier et ses céramiques. C’est Harin, le plus souvent possible. C’est les rayons de soleil, les chats qui viennent à son balcon, les promenades quand il fait beau. C’est l’envie de se reconstruire, toujours.
- le résumé :
- naît en France en 1966 de parents russes immigrés.
- ses parents veulent que son intégration se déroule bien, alors ils ne la reprennent pas lorsqu’elle leur répond en français alors qu’ils lui parlent en russe, et elle finit par ne plus réussir à dialoguer dans sa langue maternelle.
- ses parents la persuadent de faire de grandes études pour ne pas finir comme eux (le père est employé dans une usine, la mère est blanchisseuse), alors elle se lance dans des études de droit pour lesquelles elle ne parvient pas à se passionner.
- en parallèle, elle fréquente depuis sa majorité un homme que ses parents lui ont présenté, le courant passe bien, alors ils décident de se marier dès la fin de ses études mais elle tombe enceinte à 21 ans alors ils précipitent les choses.
- ils décident de garder le bébé, elle veut continuer ses études en même temps et prend un petit job à côté pour pouvoir accueillir leur enfant comme il se doit, en plus du revenu de son mari.
- le surmenage et le stress prennent le dessus, elle fait une fausse couche.
- le couple n’y survivra pas, malgré leur bonne volonté, et ils se séparent.
- à 23 ans, après un examen raté, après un cauchemar récurrent, après une dispute futile avec ses parents, elle ouvre la porte.
- arrivée à Phyméris, elle se dit qu’elle pourra tout recommencer : faire des études et un métier qui lui plaisent, ne plus être celle qui a fait une fausse couche, avoir la même langue que tout le monde, oublier qu’elle a raté sa vie.
- elle devient apprentie céramiste, loge à l’auberge en attendant d’avoir un vrai revenu.
- entre temps, elle rencontre Reem, tombe amoureuse, et emménage avec elle dès que sa formation est terminée, elles se marient six ans après puis adoptent Harin à son arrivée à Phymeris - c'est le soleil de leurs vies, la prunelle de leurs yeux
- en 2014, elle finit par apprendre que Reem traite toujours avec la mafia, ne supporte pas la trahison et les mensonges, décide de divorcer malgré tout l’amour qu’elle a pour elle à ce moment
- depuis, elle a son appartement au-dessus de sa boutique et de son atelier à l’arrière, elle a la nostalgie des jours passés mais elle ne parvient pas à regretter son choix