Pour un nouveau départ... (flashback)✧ [Alistaire & Sloan]

C'est une nouvelle journée qui touche à sa fin, mais cela, il ne s'en est pas aperçu en dépit des dernières heures passées derrière le carreau de sa fenêtre. En réalité, c'est le chant plus ténu des oiseaux qui a fini par le sortir de sa torpeur, et la brise qui s'est glissée par l'embrasure pour venir agiter, accusatrice, le travail inachevé qu'il a entreprit. Sloan a mauvaise mine ; mais ce n'est pas une nouveauté à Phymeris, que de croiser la tristesse au fond des yeux des nouveaux venus. L'allégresse aussi, parfois. C'est ce qui lui redonne un soupçon d'espoir. Assis à son petit bureau, sous ses mains reposent une feuille et un journal. Quelques annonces entourées, avec la finesse dont il a l'habitude : un observateur à l'œil aiguisé aura sans doute remarqué que ces notes ont presque des airs de partition. Dans ce nouveau lieu où les règles tacites lui échappent encore, il a choisi de combattre son aversion par la logique, d'aligner pours et contres afin de se convaincre que ce ne sera pas forcément si compliqué. Qu'après une fin, il peut y avoir un nouveau départ.

Enfin, ses yeux quittent la fenêtre pour se poser sur son violon, relégué dans un coin de la chambre, couvert d'une taie d'oreiller. Il se tient là, comme un fantôme. Sous son drap blanc. Une relique de ce qu'il y avait... avant.

D'un coup de main, il ferme la fenêtre. L'été est doux à Phymeris, trop doux en tout cas en comparaison à son souvenir londonien pluvieux et gris. Tout lui semble si loin et si proche en même temps. Comment accepter de faire un pas de plus vers ce qui pourrait l'éloigner de cette autre réalité.

Son regard se pose sur ce qu'il a écrit. Le jeune homme a bien conscience qu'il lui faut quelque chose. Pour s'occuper l'esprit, les mains... Se rendre utile, et se refaire une place. Sinon, c'est l'isolement qui aura raison de lui. Car ça ne lui ressemble pas, de repousser ainsi tous ceux qui essaient de l'approcher. Mais il n'y arrive pas.
S'attacher, ce serait renoncer ? Et puis, il y a cette colère qui lui met le cœur à vif comme jamais encore.
Sloan ne veut plus rester enfermé ici, à constater les allées-venues et à s'engorger comme une éponge des peines de tous les arrivants. Il le sent, ça va l'achever.

Alors, c'est que sa décision est déjà prise. Il se lève, plie le papier sur lequel il a si soigneusement griffonné, et quitte enfin la petite chambre, et l'auberge. D'un pas qu'on pourrait croire presque motivé, il parcourt la distance qui le sépare du quartier des artisans, dans lequel il s'engouffre pour la deuxième fois seulement. Il est pourtant trop tard, la bienséance le dicte, pour venir frapper à la porte de quelqu'un et l'importuner avec ce genre de chose. D'ailleurs, comment s'y prendre ? Il n'en n'est même pas certain. Pour l'Ecole, en plus des auditions, il s'est souvenu avoir rédigé une lettre de motivation pleine de sophistications futiles enseignées par des professeurs éminents, mais imbus de leur personne. Leur pédagogie lui dictait d'y inscrire flatteries et ambitions, mais bien moins ce que lui, aurait eu envie d'y écrire. Alors, naïvement, c'est cette fois avec le cœur qu'il a rédigé la lettre qu'il vient d'enfourner dans sa poche. La naïveté l'empêche de comprendre qu'une lettre pour devenir apprenti forgeron, ce ne sera sans doute pas un critère d'embauche très convaincant.

Enfin, il le voit. Au bout de la rue, un panache de fumée, qui lui semble plus ténu que la dernière fois, lorsqu'il était passé en journée avant de rebrousser chemin. Juste assez vite pour entendre les jappements joyeux d'un chien au loin, et apercevoir l'éclat ensoleillé d'une longue crinière blonde. Des sourires partagés. C'était trop tôt. Il avait pris ses jambes à son cou.

Mais aujourd'hui, en ce début de soirée, il ne se dégonflerait pas. S'il y avait de la fumée, alors il devait encore y avoir quelqu'un. Il s'engage dans l'allée au bout de laquelle se dessine la forge, enveloppée par les derniers rayons roses d'un soleil tombant. Sloan marche juste assez vite pour que le bruit de ses pas lui permette d'oublier que son cœur tambourine sans raison apparente. Au bout de l'allée, régulier et précis, le tintement du métal lui répond comme un échos plus apaisé.

Sloan se tient quelques instants droit sur le pas de la porte avant d'oser entrer dans ce domaine qui n'est pas le sien. Immédiatement, c'est la chaleur, pesante, qui se fait sentir la première, et le fait même un peu tousser ; le blond n'est pas habitué à ce genre d'atmosphère. La fumée lui picote les voies respiratoires, et la chaleur vient embuer ses lunettes, l'empêchant dans un premier temps de distinguer correctement ce qui l'entoure. Alors, il préfère les retirer et les glisser au col de son t-shirt.

"Bonjour... Hum... Enfin bonsoir. Il y a quelqu'un ?"

Enfin, la notion du temps lui est revenue. Un peu trop tard.

"Navré de vous déranger à cette heure. En fait, j'ai vu que vous cherchiez un apprenti..."

Son regard bleu croise finalement celui du forgeron, qu'il détaille un peu malgré lui, des pieds à la tête.

Des cheveux rouges, presque aussi flamboyants que le métal encore rougi qui étincelle au bout de cette pince qu'il tient toujours lorsqu'il lève les yeux vers lui. Pas de doute, c'est bien le forgeron de Phymeris qui se tient là, tout à son ouvrage, assis devant lui. Ce n'est qu'une impression, mais il semble à Sloan que tout comme lui, il n'a pas tout à fait vu la journée s'écouler. Bien qu'il lui dise que l'heure n'est pas un problème, il devine qu'il vaudrait mieux pour le forgeron qu'il ne s'attarde pas trop non plus en sa compagnie. Un léger soupir de soulagement lui échappe lorsque Alistaire lui révèle qu'il est bien en recherche, et n'a pas encore trouvé. Pourtant, quelques personnes lui ont bien dit que ce n'était un métier auquel beaucoup s'intéressaient, mais au fond de lui, une pointe d'angoisse le titillait à l'idée que l'une des seules choses qui captive son intérêt ici puisse lui échapper. Ou l'un des seul travails qui puisse lui permettre de se défouler. Il ne savait pas trop encore.

"Super !" Peut-être y avait-il un peu trop d'entrain dans cette réponse.


En quelques pas, le voilà qui franchit la distance qui les sépare, en veillant bien à ne pas toucher tout ce qu'il devine être chaud. Il ignore encore qu'en plus d'envahir l'espace personnel d'Alistaire, il rentre dans un périmètre dans lequel il ne fait pas bon se trouver sans la moindre protection sur soi. Tout ça pour lui tendre la main, à lui, qui est encore en plein travail, mains gantées, et qui n'a certainement pas demandé à voir ce jeune inconnu de si près. Il est fatigué, Sloan. Il ne remarque pas qu'il a dépassé les limites.

"C'est exact, j'aimerais postuler pour la place. Je m'appelle Sloan Whitmore. Je suis... Arrivé il y a quelques mois à Phymeris."

Maintenant qu'ils sont plus proche, le blond se rend bien compte de l'aspect un peu intimidant du forgeron, de la suie qui s'est déposée sur ses vêtements, sur son visage. Autour de lui, quelques pièces déjà terminées attirent son attention. Des choses comme un portail, un lustre, le cadre d'un miroir. Et puis des choses moins communes, comme un set de tisonniers surmontés de petites têtes de canards. Doucement, il s'approche de ce dernier pour l'effleurer du bout des doigts. C'est indéniablement une pièce délicate, à la fois jolie et utile. Sera-t-il capable de produire de si belles choses de ses dix doigts ? Lui que l'amertume empêche toujours de jouer depuis son arrivée ici ?

"Je n'ai jamais fait ce genre de chose auparavant. Il faut dire que le métier de forgeron est presque disparu de là où je viens. La plupart des pièces sont usinées de nos jours... J'espère que j'en serai capable. Tous ces objets, vous en faites des esquisses avant de les fabriquer ?"

Sloan n'avait pas pensé à ça. Sera-t-il seulement capable de dessiner avec suffisamment de minutie pour parvenir à un résultat probant ? De donner corps à ce qu'il pourrait imaginer ? Il pense à la lettre qu'il a en poche, et soudainement, elle lui semble bien malvenue.