Il est des moments où Alistaire enrage, s’agace d’un rien, s’entête et se tord de douleur. Et des moments où il se résout, car il le faut bien après tout. Non, c’est fini, Alistaire ne sera plus jamais comme avant, plus aussi adroit, plus aussi habile, plus aussi, plus aussi, plus rien. Chaque année, auparavant, il montait sur le toit, remettre en place des tuiles qui avaient bougé sous les vents, vérifier les fuites après les grandes pluies, regarder le bois s’il n’avait pas pourri, l’entretenir d’un coup de lazure ou d’huile.

Mais, c’est fini désormais.
Non, il ne peut plus monter sur le toit à quelques dix mètres de hauteur, il ne peut plus se permettre d’entretenir sa maison comme il le faisait alors. Il risquerait de tomber, de chuter - l’équilibre à un bras, vous avez déjà essayé ?

“J’arrive” qu’il te dit, te gueule par-dessus l’épaule, après que tu aies frappé à la porte.

Il a rouvert les volets, s’est remis à aérer, la maison n’est plus dans l’état déplorable qu’elle était il y a encore quelques mois. Et ta voix, non il ne la connaît pas - un nouveau alors ? Vous allez et venez, pas rares en ces temps alors il ne s’étonne pas tellement. Et il se dit, un nouveau visage, ça fera du bien - à lui, à tout le monde. Pour une fois il n’aura pas à lire les lettres de pitié qu’il voit sans cesse dans les yeux des passants, parce que c’est agaçant, fatiguant. D’être le centre d'attention.

Il ouvre la porte, sur toi - gamin.
Il a laissé la forge à l’apprenti.e cet après-midi. Il ne peut que lui confiance, désormais - ironique aurait été le contraire. “Un café ?”, propose-t-il après t’avoir laissé entrer. Il a du thé également, mais c’est celui de Camomille, il n’y connaît pas grand-chose en thé et puis il n’a pas envie de l’utiliser.

Non, pas de café, tant pis alors - ça en fera plus pour lui, à ne pas mentir, c’est une pensée qui lui traverse l’esprit. “Ah, euh. J’ai de l’eau sinon. Ou de la limonade.” Il ne sait pas vraiment quoi te proposer d’autres à dire vrai, et il ne sait pas si tu accepterais dans tous les cas. Tu sembles un peu ailleurs, un peu distant.

Ça lui convient bien à Alistaire. Les relations purement professionnelles lui avaient manqué, imagines-tu à quel point ? A lui, qui est toujours fixé de pitié depuis une année déjà.

“Il a…” Il hésite un instant, déglutit. Le temps passe vite, à ne pas mentir. Et toutes ces belles années, envolées. La maison est vieille, âgée, plus que ce que l’on pourrait imaginer, parce que Alistaire et Camomille l’ont réparée, retapée de fond en comble. Leur logis à tous les deux, havre de paix désormais amputé de moitié. “Il a plus de quarante ans, mais on l’a refait voilà environ treize ans.” Car ils sont partis de l’existant, c’est pourquoi il précise l’âge réel de cette maisonnée.

Belle maisonnée.
Qui n’est plus pareil désormais.

Il te voit alors, mal à l’aise autant que faire se peut, on dirait lui en compagnie d’autrui, c’est étrange, presque dérangeant de le voir de l’extérieur. A-t-il l’air aussi empoté, lorsqu’il ne sait pas quoi raconter ? C’est fort probable, il est vrai. “Un bic ? C’est…?” C’est quoi, un bic ? Car Alistaire, il ne sait pas, n’a jamais appris. Il vient d’ici, la Terre, il n’a jamais connu. Alors déjà qu’il peine à comprendre comment fonctionne les choses là-bas - un bic, autant avouer que c’est hors de sa portée, hors de sa compréhension. “Mais j’ai euh- un crayon de bois.”

C’est bien pour écrire, n’est-ce pas ?
Toi qui froisses ce papier dans le creux de ta main ?

Le crayon, il finit par te le tendre, simplement, un peu bêtement, sans un mot et sans savoir quoi faire, quoi dire de plus. Et un hochement de tête, oui tu peux t’appuyer sur la petite table pour écrire, ce sera probablement plus pratique. “Ou sinon, on peut passer dans la cuisine.” Une table et des chaises, ce sera probablement plus pratique également, n’est-ce pas ?

Et puis il pourra te servir un verre, même si tu ne le souhaites pas - parce qu’il se sent mal à l’aise, à être seul avec son café et rien d’autre, et toi debout et rien d’autre.

Vraiment, viens donc t’asseoir.
Ce sera plus pratique, non ?

“Ah euh, merci.” Oui la maison est jolie, à ne pas mentir. Un peu vide, bien moins jolie qu’auparavant, comme s’il en manquait quelque chose d’essentiel mais sur laquelle on ne saurait dire. “On l’a retapé entièrement, voilà quelques années. Maintenant… Je peux plus vraiment m’en occuper seul.” Évidemment, le bras, ou plutôt son absence. Et ce on, ce on qui traîne dans le fond de sa gorge sans qu’il ne soit explicité de quelque manière que ce soit. Ce on qui ne semble rien vouloir dire, parce qu’il n’y a pas de on ici, juste lui, seul avec son chien.

“Vous êtes sûr que vous voulez rien ? Et la cuisine ? Ce sera plus confortable pour écrire - et discuter.” Oui, à ne pas mentir, ce sera mieux.