au pied de l'arc en ciel ⬨ fukaeri

Comment ne pas tomber sous le charme de Koha ?
Une perle d’innocence, précieuse, à protéger au péril de sa vie.
Un grand sourire qui ne flétrit jamais, une spontanéité enfantine qui réchauffe le cœur.
Cette tendance à être ami avec tous et ne jamais vouloir aucun mal à personne ?

Il est parfaitement impossible de ne pas partager son sourire et de ne pas être heureuse lorsqu’il pousse les portes de la bibliothèque avec entrain, se dirigeant d’un pas déterminé vers les étagères dédiées à la romance, les parcourt du regard une fois, deux fois, trois fois, crée une pile presque plus haute que lui, puis s’en vient quérir l’aide de la demoiselle qui n’a pas perdu une miette de son petit rituel. Parce qu’elle l’aime beaucoup, ce rituel, et qu’elle ne l’écourterait pour rien au monde, tant il est rafraichissant.

Un jour, elle prendra le temps de créer un petit espace rien que pour lui, dans la bibliothèque.
Un jour.
Il faudrait qu’elle se renseigne sur son anniversaire pour le faire.
Ou qu’elle prenne le temps de tout parcourir pour lui faire une sélection, parvenir à avoir suffisamment de réserve pour lui conseiller un nouveau livre à chaque fois, et espérer un jour trouver le bouquin qui fera battre son cœur à tout jamais, indétrônable.

Ah, comme elle aimerait se trouver sur Terre, dans ces réflexions-là, avec tout le choix dont elle disposait jadis. Pour sûre, elle n’aurait pas manqué d’auteurs, de titres, et de sous-genre. Sans doute qu’elle aurait mis plusieurs années avant de trouver la pépite convoitée, mai selle aurait prit grand plaisir à tout écumer pour lui, pour le voir sourire, apprendre à le connaitre à travers ses préférences et ses avis sur les différentes histoires. Qu’il est intéressant de découvrir les autres à travers les œuvres d’art.

Koha veut chasser les arc-en-ciel ?
Alors nous chasserons les arc-en-ciel.

La documentation laisse très vite place à la précipitation, quand sa main attrape celle de la jeune femme et qu’il ne lui laisse même pas le temps de dire au propriétaire des lieux qu’elle s’absente, puisqu’ils sont déjà dehors avant même qu’elle n’ait eu le temps de prendre sa veste, ou de ranger les livres.

À Phyméris, tout est possible. C’est ce qu’elle aime se dire depuis qu’elle a reprit goût à la vie, en redécouvre les saveurs petit à petit. Peut-être que les licornes existent et que le lapin de pâques viendra bel et bien leur déposer des œufs l’année prochaine. Peut-être que des trésors se trouvent au pied des arc-en-ciel et que si on y croit assez fort, les fées viendront nous offrir un petit tour dans les airs. Peut-être que la magie existe, on lui a laissé entendre que c’était le cas…

Elle n’a pas pu vérifier encore, préfère garder cette part de mystère bien secrète pour le moment. Une manière de se dire que cette vie est mieux que l’autre, que peut-être que son départ est une bonne chose, et puis –

« alors du coup la cascade c’est par là-bas, mais si on traverse ces champs par-là on dirait l’arc-en-ciel il finit dans pas longtemps non ? »

Ses yeux ont suivi l’index du jeune homme, se mettant sérieusement à considérer le meilleur endroit où se rendre. Autant se prêter au jeu jusqu’au bout, même si son patron ne va certainement pas monter autant de compréhensif quant à sa disparition soudaine.

Oui, j’ai abandonné mon poste, mais comprenez-moi : Koha voulait voir le bout d’un arc-en-ciel, comment résister à sa petite bouille pleine d’espoir, de curiosité ?

Lui aurait certainement su résister.

Songeuse, Fukaeri récupère sa main, retourne son attention sur le coiffeur, répondant à son sourire par des étoiles tout aussi pétillantes dans les yeux.

« D’un côté, se rendre à une cascade nous assure de trouver des arc-en-ciel, voire même des plus petits que celui-ci. Pratique pour être certains d’en trouver les pieds, mais les récompenses seront moindres ? J’imagine, du moins. Si j’avais un trésor à enterrer, je le mettrais au pied d’un gigantesque arc-en-ciel, pour que les gens ne le trouvent pas facilement, pas toi ? » question rhétorique, son regard longe l’arc-en-ciel au-dessus de leur tête, s’arrête sur le sol humide ; combien de temps durent les arc-en-ciel à Phyméris ? « Le souci, c’est que celui-ci a des chances de disparaitre avant qu’on arrive au bout… Hé ! »

Malheur à celui qui laisse entendre à Koha qu’il faut se précipiter. Ce dernier s’est élancé comme un beau Diable en direction des champs, faisant de grands signes pour inciter Fukaeri à le suivre ! Comment lui en vouloir, comment lui refuser quoi que ce soit ? La demoiselle secoue la tête, amusée, et se lance à se poursuite, pour ne pas le perdre de vu.

Sans savoir que le sens de l’orientation du garçon n’est pas à la hauteur de sa détermination.

Une vraie pile électrique, Tesla n’a qu’à bien se tenir !
Il s’éloigne toujours plus, court de plus en plus vite, disparait dans les blés – heureusement qu’ils gigotent à son passage, parce qu’elle serait drôlement embêtée pour le retrouver. Sa progression n’est pas aussi rapide, tant parce qu’elle se fait plus délicate avec les plantes que parce qu’elle ne court pas à la même allure que lui. Depuis quand est-ce qu’elle n’avait pas couru comme ça, exactement ? Ses derniers souvenirs remontent aux cours de sport dans le froid, à l’aube de ses études supérieures, à greloter dans le froid en attendant son tour sur le terrain, le nez rouge et le givre habillant l’herbe.
Pas très à l’aise, donc, mais elle le suit de bon cœur, avec un large sourire, amusée : parce que peu importe l’heure, le lieu, ou l’activité, avec Koha, la joie ne peut que nous faire prisonnier. Il lui rappelle cette époque insouciante où elle aussi, pouvait prendre plaisir à courir partout, à ne pas craindre de se salir, à sauter dans les flaques d’eau jusqu’à rentrer trempée à la maison. L’âge d’or de son enfance, avant qu’elle ne rencontre les livres et développe un calme olympien, vivant des aventures exaltantes au fil des mots, sans plus se salir ni se blesser…

Ah, cette époque peut donc lui manquer ?

Quand elle arrive, c’est un Koha tout crotté qu’elle découvre, mais loin de s’en soucier, ce dernier semble passer le meilleur moment de sa vie, dans les champs. Difficile de ne pas voir la ressemblance avec un petit chiot hyperactif qui saute partout, curieux de tout, avec une concentration aussi fugace qu’un éternuement. Il pourrait gober un papillon sous ses yeux, qu’elle ne s’en étonnerait pas.

Ses chaussures sont fichues.
Elle verra ce détail plus tard.

« Il me semble, commence-t-elle en s’approchant de la fleur, que c’est un chardon ? Les fleurs ne sont pas ma spécialité, mais quand je passe devant la boutique du fleuriste, je reconnais beaucoup de celles présentes dans celles de la Terre. En revanche, j’ai toujours l’impression qu’ici, elles ont des couleurs plus vives, une odeur plus forte, qu’elles brillent, même parfois ? Et je ne doute pas que votre ami le génie ne s’est pas privé de créer tout plein de plantes exclusives à son univers. »

En promenant ses yeux sur les plantes, la bibliothécaire se dit qu’un herbier, pour en apprendre plus sur les plantes, ne serait pas une mauvaise idée. Ça, ou demander à Shiori un peu plus d’informations sur les fleurs, la prochaine fois qu’il viendra déposer un bouquet.

« Dommage qu’on soit partis dans la précipitation – et pressés ! C’est l’endroit idéal pour faire un pique-nique, tu ne trouves pas ? On devrait s’organiser ça, avec le plus de personnes possibles : ça ne pourra qu’être agréable… Mais ! Pour le moment, on a un trésor à débusquer. Et il faut se diriger… » Levant le nez au ciel pour suivre la direction de l’arc-en-ciel, la brune dirige son corps dans l’axe, et tourne la tête vers la graine d’explorateur. « Par ici ! À moins que tu ne connaisses un raccourci ? »

Raccourci vers où, Fukaeri ?
Vers nulle part, pardi.
Parce qu’elle a déjà compris, que le bout de l’arc-en-ciel, Koha en fait fi.
Le plus important pour lui, c’est de profiter de la vie.
Alors pourquoi pas le faire aussi ?

C'est drôle.
Quand on passe du temps avec Koha, l'univers entier semble en prendre conscience et, lentement, sans que l'on puisse s'en rendre compte, sans qu'on en ressente le moindre changement, il semble s'adapter à sa présence. On entre dans une bulle, loin des autres, des impératifs, de la réalité que Konnor a répliqué. La bibliothèque laissée à son triste sort, entre les mains de son propriétaire qui, depuis qu'il s'est trouvée une partenaire d'affaire, passe le plus clair de ses journées dans les archives, à reproduire, réparer, les ouvrages qu'il lui arrive de trouver. A-t-il enfin remarqué que Fukaeri s'était éclipsée ?

Peu importe.

Puisque la bibliothèque n'a pas sa place dans la bulle kohesque : ici, on chasse les arc-en-ciel, on saute dans les flaques de boue, et on s'arrête tous les dix mètres pour observer les fleurs. On parle, de tout et de rien, sans fil conducteur, et on se laisse porter par le paysage, les lignes tracées par la nature qui nous invite à les emprunter, pour découvrir ce qui peut se cacher au bout des sentiers.

Le bruit de l'eau accompagne ses mots. Il ne court plus, aussi il est plus facile à la brune de le suivre, de marcher côte à côte, et si elle porte une oreille toute attentive aux phrases anarchiques du l'adulte à l'âme d'enfant, ses yeux ne peuvent réprimer l'évasion, l'observation de ce nouveau pan de l'île encore jamais exploré. Il faudrait qu'elle arpente, la demoiselle, qu'elle sorte de sa zone de confort, qu'elle découvre son nouveau chez elle un peu plus en profondeur, pour se trouver des coins magiques où se couper un peu plus encore de la civilisation ; parce que parfois, de très rares fois - à moins qu'elle ne se l'admette pas - le manque de téléphone ne suffit pas.

Konnor, puisqu'on en parle. Ce n'est encore qu'une rumeur, pour Fukaeri, une montagne de rumeurs, d'histoires rocambolesques et d'anecdotes tout aussi amusantes qu'inquiétantes. En trois ans, elle s'est faite une image caricaturale de l'individu : petit bonhomme enfant ne prenant rien au sérieux, agissant au gré de ses humeurs, veillant à l'harmonie des lieux tout en y incorporant de la maladresse de temps en temps, un peu de folie, d'émerveillement. Un génie, un Dieu vivant : elle se demande comment réagissent les croyants en découvrant son existence, et s'étonne qu'aucune religion (pour ne pas dire secte) n'ait émergé, avec l'émergence des terriens dans les rues de Phyméris.

" C'est qu'il commence à prendre de l'âge, Konnor : c'est peut-être sa manière à lui de passer le temps, que de jouer des petits tours à ses enfants ? " qu'elle a suggéré en souriant, bien qu'incertaine qu'il faille considérer le génie comme le père originel des premières familles...

Mais la théologie attendra.
Elle n'a pas sa place dans la bulle kohesque.
Pas aujourd'hui du moins.

Répondant aux indications de ce dernier, Fukaeri s'accroupit, retire ses chaussures, puis ses chaussettes, qu'elle ranges à l'intérieur de ses baskets. Quitte à prendre le risque de finir les pieds dans l'eau, autant limiter les dégâts. Et puis, la sensation de l'herbe humide sous les pieds, c'est loin d'être désagréable - ça lui a même manqué ?

« Il serait étrange que nous n'en croisions pas, enchaîne-t-elle du tac au tac, avec la pollution quasi inexistante, les poissons n'ont aucune raison de ne pas nager librement. Je suis certaine qu'on va en rencontrer de très beaux, si on fait attention à ne pas les effrayer. »

Une pause est marquée.
Les remous de l'eau se reflètent dans ses yeux.

« De là d'où je viens, durant nos festivals, il y a des stands où l'on peut attraper des poissons. Des poissons rouges, tout mignons. Si on se débrouille suffisamment bien, on peut en avoir une dizaine avant que l'épuisette ne soit totalement inutilisable. Quelque chose me dit que tu aurais passé énormément de temps accroupi devant les stands, à regarder les poissons nager, à chercher le plus mignon pour essayer de lui parler, d'en faire un ami. »

Elle rit, la demoiselle Murakami, et tend ses bras des deux côtés de son corps pour ne pas tomber à l'eau, maintenir son équilibre et tenir fermement ses chaussures dans ses mains. Repensant à la malédiction des fleurs, elle se demande s'il en existe une similaire si l'on tente d'attraper un poisson, un oiseau, ou une quelconque créature vivante pour la retirer à son habitat naturelle, et si ces malédictions diffèrent en fonction de l'espèce concernée.

« Les Hovrath sont une grande "famille", vous vous entendez tous bien ? »

Comment expliquer la pollution ? À quelqu’un qui ne vient pas d’un monde qui la côtoie au quotidien, de surcroît ? En lui décrivant le nuage gris quasiment omniprésent au-dessus des grosses villes, qui empêchent de voir les étoiles le soir ? Les odeurs affreuses et les microparticules qui développent et engendrent toujours plus de maladies respiratoires ? La hausse de chaleur qui assèche la terre, fait monter les eaux, fondre les glaces ? La disparition d’une multitude d'espèces animales ?... Non, ce n’est certainement pas le genre de choses qu’elle souhaite mettre dans la tête de Koha. Même s’il a la fâcheuse tendance à vite oublier, s’il passe du coq à l’âne tout en donnant l’impression de faire glisser le moindre sujet sur lui sans les laisser s’imprégner en lui, ne prenons pas le risque de faire germer en lui des idées noires, des angoisses inutiles.

“ La pollution, c’est une des maladies de la Terre. Elle vient du manque de respect des Humains envers elle. On ne prend pas suffisamment soin d’elle, depuis très longtemps, alors elle est tombée malade, et on a beaucoup de mal à la soigner durablement. ”

Pour les poissons, c’est un peu plus simple de lui répondre : certains repartent avec chez eux, les mettent dans des aquariums pour les conserver avec eux, s’en faire des amis, partager un bout de vie en leur compagnie. D’autres les remettent à l’eau directement, parce que ce n’est qu’un jeu et qu’ils ne veulent pas d’un animal chez eux (ça demande de l’entretien, c’est beaucoup de responsabilité, tu sais ?), et une petite partie décident de les emmener ailleurs. Parfois de les remettre dans leur habitat naturel, mais le plus souvent, on les remet à des associations qui s’occupent des poissons qui n’ont jamais vécu en liberté, parce qu’ils ne sauraient pas comment se débrouiller là-bas, alors on prend soin d’eux. Cette partie-ci, elle n’en est pas certaine. Il existe des associations pour les autres animaux, pour les autres espèces, mais pour les poissons ?

Peut-être pas.

Les poissons sont souvent laissés pour compte.
Voire même pas du tout considérés comme des animaux.
Après tout, on dit bien que certains plats contenant du poisson sont végétariens.
Alors que…

Bref.

En écoutant les explications du petit gars, Fukaeri se rend bien compte que ce n’est pas auprès de lui qu’elle apprendra véritablement l’histoire des Hovrath. À l’entendre, le plus ressemblant pourrait être les divinités et leurs liens de parentés plus ou moins implicites, mais si difficile à poser à plat qu’il ne vaut mieux pas s’y pencher.
Mais elle s’accroche à ces mots, à ce qu’il veut bien lui dire, à sa version de cette immense famille sans queue ni tête, souriant à ses tournures de phrases maladroites, à sa vision des choses, tentant de ne pas se faire devancer sur leur sentier improvisé, goûtant la fraîcheur de l’eau, évitant de glisser. Quand il parle, il fait de grands gestes, emporté par ses pensées, par les mots qui sortent de lui qu’il lui faut user de tout son corps pour tenir le rythme et ne pas s’envoler ; raison pour laquelle il lui faut toujours changer de sujet.

Mais cette dernière phrase.
Fukaeri est prise au dépourvu, manque presque de finir à l’eau tant elle ne s’y attendait pas. Les yeux ronds, elle se stabilise à l’aide de ses bras, d’abord, reportant ensuite toute son attention sur Koha.
C’est Koha.
Il y a de grandes chances qu’il puisse dire ça à tout le monde. Parce qu’il apprécie un peu tout le monde et que c’est un grand enfant au cœur tendre.
Pourtant, elle ne peut s’empêcher d’être touchée par ses mots. Sa famille à elle, si loin…

Un sourire mélancolique apparaît. Venant tapoter les cheveux du jeune homme - par affection, mais aussi pour vérifier qu’il ne va pas faire une insolation - elle l'observe avec une certaine tendresse, beaucoup de douceur.

“ Merci. Ça me touche beaucoup, ce que tu dis. C’est important d’avoir des gens en qui on peut compter. Sans forcément parler de famille, il faut savoir bien s’entourer. Il arrive souvent que les liens du sang ne soient pas aussi puissants que ceux du cœur. J’espère pour toi que tu te constitues une superbe famille ! ”

Silence.
Quelques secondes à peine.
Propice à la nostalgie, mais -
au loin, c’est de l’eau qui coule.
Beaucoup.
Fort.

Et en suivant la direction du bruit, on se rend vite compte que l’arc-en-ciel converge.

“ On touche au but, je pense ? Prêt à résoudre le mystère des arc-en-ciel avec moi ? ”