(terminé)(mandolias) fallin' apart right in front of you ft. koha & noam

Les parfums d'hiver ont laissé place à ceux du printemps. Doucement, aussi lentement que les jours s'écoulent, les fleurs peu à peu tapissent la terre de la forêt restée froide et humide pendant de longues semaines. Les arbres depuis quelques temps ont retrouvé leurs couvertures colorées et il flotte dans la ville des airs de fête.

Lorsqu'il sort de la boutique ce jour-là, Gio a comme l'impression de se réveiller d'un grand sommeil. Pourtant les mandolias sont déjà accrochées aux fenêtres, les stores dépliés de certains magasins témoignent des beaux jours, revenus depuis un moment déjà. Il lui semble pourtant remarquer l'arrivée de la nouvelle saison seulement maintenant. Peut-être est-ce la faute à une fin d'hiver plus rude que d'habitude ? Les nuits sont parfois courtes avec le petit, les réveils difficiles – le froid tapisse encore le cœur de celui qui peine à sortir de son hibernation. Comme un oublié du printemps.

Il faut bien la forte odeur de fleurs et les rayons du soleil déjà francs, qui lui font plisser les paupières, pour se rappeler que la vie autour de lui a suivi son cours. En quelques pas sur les pavés il constate que le centre ville ne l'a pas attendu pour profiter de la belle saison. L'agitation est grande, les festivités déjà lancées et Gio – comme tous les ans, probablement – se sent un peu comme un étranger au milieu de la foule. Ce n'est pas qu'il n'aime pas les fleurs ou qu'il n'aime pas le printemps ; simplement il a toujours préféré la fraîcheur sous les cimes ou le sucré des fruits. Le printemps n'a pas sa préférence et ça se voit un peu à sa façon de déambuler dans la rue, moins flâneur que n'importe qui en ces jours de joie. Presque hermétique au parfum pourtant si entêtant qui emplit l'air.

Tellement déconnecté qu'il a bien failli ne pas le voir, le stand couvert de fleurs parmi les centaines, les milliers d'autres bourgeons. C'est-à-dire qu'une bulle de douceur rose parmi d'autres, c'est moins voyant que lorsqu'elle se promène toute seule dans un décor habituellement plus terne. Ce sont toujours ses cheveux bicolores qu'il remarque en premiers, et ensuite ses airs, toujours un peu ailleurs, le flottement caractéristique de l'univers qui gravite autour de lui. Et qui crée comme un voile entre lui et les autres.

– Salut Koha.

Gio n'a même pas vraiment remarqué qu'il avait marché jusqu'au stand, comme attiré irrémédiablement par une odeur sucrée – par deux étoiles aux couleurs opposées.

– Il est super joli ton stand !

Un compliment qu'il a déjà dû recevoir deux cent fois aujourd'hui mais ça vient du cœur. La preuve en est que le sourire de Gio est revenu au beau fixe depuis qu'il l'a dans sa ligne de mire, alors que depuis ce matin il ne servait que de légères mimiques aux habitants qu'il saluait.

Son regard noisette détaille avec beaucoup plus d'intérêt les artifices de la fête des fleurs désormais, et il ne tarde pas à comprendre ce que Koha fait au milieu de la place.

– Tu mets des fleurs dans les cheveux des gens ? Il observe l'un des derniers modèles de Koha, certainement, en train de quitter la place avec des mandolias plein les cheveux. Et tout d'un coup, ça lui revient en mémoire : les mains de Koha dans ses cheveux quand il s'agissait de le coiffer, le cliquetis des ciseaux tout près de ses oreilles, son souffle qui effleurait parfois sa peau et le son de sa voix, incessant, si présent qu'il s'en demandait même parfois comment il faisait pour parler autant.

Pourquoi met-il autant de temps à revenir le voir à chaque fois ?

Ça n'a pas vraiment de sens au moment où il prononce ces mots, il le sait, parce que Gio n'a pas vraiment beaucoup de longueur et que la seule chose que Koha pourrait faire certainement c'est glisser une tige derrière son oreille. À moins qu'il ne trouve quelques idées magiques pour le couvrir de fleurs, le résultat sera certainement moins enchanteur que sur d'autres personnes. Mais peu importe. Il lui demande, de toute façon il a tellement envie de s'approcher qu'il serait prêt à passer de l'autre côté du stand sans son invitation.

– Tu crois que tu pourrais essayer sur moi aussi ?

Voir son nez se relever de ses pages et ses lèvres s'étirer en un sourire si grand ne manque pas de remplir le cœur de Gio d'une tendresse caractéristique. Caractéristique de la présence de Koha dans son environnement direct, à chaque fois qu'il le croise, à chaque fois qu'ils passent un moment tous les deux – à chaque fois qu'il pense à lui. Cette fois peut-être encore plus, alors que ça fait un petit moment qu'il ne l'a pas vu et que les fleurs parsemées tout autour d'eux lui donnent franchement l'impression qu'ils se sont perdus dans un champ – il n'y a plus la ville autour, n'est-ce pas ? Tout a disparu. Tout disparaît toujours quand Gio se perd dans les yeux de Koha.

– Bien sûr ! Toutes ces fleurs, c'est très joli.

Un nouveau coup d'œil au stand dans sa globalité lui confirme qu'en toute objectivité, le stand de Koha est joli. Et qu'en toute subjectivité, il le trouve joli parce que Koha est dedans. Et ce, même si ses capacités d'organisation ne sont pas évidentes au vu de l'amoncellement de fleurs un peu partout.

– Oh... Je vois. Il faut dire que Gio regarde attentivement Koha s'affairer, détaille les mouvements de ses doigts autour des tiges et plusieurs fois, relève un regard doux vers son visage.

Une petite tension naît dans son corps lorsqu'il formule sa demande, mais il n'a pas beaucoup d'appréhension. Il aurait compris que Koha ne trouve pas matière à travailler avec sa coupe actuelle, alors il est d'autant plus heureux de sa réponse. Et il salue son enthousiasme d'un autre sourire tendre.

Était-il prévisible que Gio soit une nouvelle fois dépassé par la vivacité de Koha ? Sûrement, et pourtant il se laisse surprendre, à voir les mains toujours remplies de mandolias s'approcher déjà de sa tête. Et le regard qui coule sur Koha quand ses doigts effleurent ses cheveux ne tromperait personne. Ne tromperait personne sur la nature de la demande de Gio, sûrement bien moins innocente que ne peut l'entendre le coiffeur.

– Euuh... C'est un souffle long plutôt que l'indication d'une réflexion. Peut-être qu'il a retenu sa respiration un peu trop longtemps, presque oublié d'écouter aussi, trop concentré sur la sensation légère sur sa tête, sur les quelques frissonnements qui parcourent déjà sa nuque. Doucement, sa main se lève pour attraper le poignet de Koha et l'écarter un peu, le sourire toujours présent mais moins symétrique, un certain air dans le regard. Je ne sais pas... Ce que tu veux, d'accord ? Je te fais confiance, je suis sûr que tu trouveras les couleurs parfaites. Et il a parlé beaucoup trop bas pour que l'échange ait l'air anodin.

Il y a comme un moment de flottement à nouveau – il ne peut pas s'en empêcher – alors qu'il tient toujours Koha par le poignet, les yeux dans les siens et le sourire en coin.

Et la seconde d'après, il se dirige vers la chaise posée près du stand, où les clients de Koha s'installent certainement depuis ce matin, l'entrainant doucement par la main, et s'assied sans demander. Relâche la main de Koha toujours avec douceur et lui sourit plus franchement avant de s'adosser confortablement. La couleur des fleurs, vraiment, ne lui importe pas beaucoup. Ni même de savoir si ce sera réussi ; si ce n'était Koha de l'autre côté du stand il n'aurait même pas pris la peine de s'arrêter. Il trouve son intérêt bien ailleurs. Dans les quelques instants qui vont suivre. Il veut juste fondre sur cette chaise ; juste sentir les mains de Koha dans ses cheveux et s'assurer que rien, rien d'autre ne viendra trouver le chemin du champ de mandolias sur lequel il ferme les paupières.

Est-ce que c'est un peu de rose qu'il distingue sur les joues de Koha, sur son visage qu'il revoit derrière ses paupières closes ?
Autant ses silences, il en a l'habitude. Ses petits moments d'égarement – quand il se risque à s'approcher de lui, à lui montrer de façon un peu plus évidente qu'il ne le regarde pas comme on regarde un ami – il les connait bien, Gio. Il joue avec, comme on peint avec de la peinture à l'eau ; c'est un jeu d'enfant, une encre qui s'efface d'un coup de chiffon et qui ne laisse aucune trace, que le souvenir joyeux d'un moment en couleurs. C'est comme ça qu'il fonctionne avec Koha, il n'a jamais eu le cran de mettre de l'acrylique ou de la peinture à l'huile dans tout ça. Il laisse les couleurs s'effacer naturellement, dès que Koha passe à autre chose il le laisse filer ; trop peur de montrer que de son côté ça fait longtemps que l'encre indélébile a marqué son coeur.

Ce rose deviné sur les joues de Koha, pour sûr, ça lui laisse des confettis dans le coeur. Des milliers de paillettes qui pétillent quand les doigts du coiffeur se glissent à nouveau dans ses cheveux. Pour Gio qui n'y voit rien, les mouvements de Koha sont comme des caresses, des arabesques tracées sur sa tête et qu'il contemple sans regarder. Qu'il s'emploie à ressentir avec autant d'intensité qu'il le peut – très égoïstement. C'est d'autant plus plaisant que pour une fois, il a l'impression que les mots de Koha partent moins dans tous les sens. Que la conversation est plus calme, plus posée – aurait-il pour une fois réussi à vraiment capter son attention ? Parce que c'est tout ce qu'il essaye de faire, Gio, à chaque fois qu'il le touche, à chaque fois qu'il le regarde un peu plus franchement : il voudrait arrêter le temps pour que Koha ressente et comprenne tout ce qu'il essaye de lui dire sans les mots.

Alors sentir que la tendance n'est plus la même cette fois, même si ce n'est qu'un très léger changement, ça lui fait tout drôle à Gio. Des années qu'il n'espère presque plus rien et voilà que les couleurs sont d'un coup un peu plus soutenues. Sur ses joues à lui aussi, à mesure que les mains de Koha travaillent, ça chauffe un peu. Dire que Koha n'a jamais remarqué l'effet que ça lui faisait... Ou l'effet que lui fait la moindre de ses invitations ; Gio soudain semble s'agiter un peu, se redresse à peine, esquisse un sourire et entrouvre les yeux à nouveau.

– D'accord...

Il aurait certainement embrayé sur quelque chose de plus développé s'il n'avait à ce moment là aperçu la haute silhouette d'un Noam en pleine approche et Gio instantanément fronce les sourcils. Fait la moue sans même s'en cacher – qu'est-ce que ça peut bien faire de toute façon si Noam le voit ? Ce n'est pas un secret qu'un rien l'agace et le voir débarquer alors qu'il passait un si bon moment clairement ça le fait chier. Puis qu'est-ce qu'il lui veut, à Koha ? Etant dos à eux, Gio n'aura pas vu la main glissée dans le dos du coiffeur et il est de toute manière bien trop occupé à lever les yeux au ciel dans un souffle dépité.

– Ouais. Le ton n'est plus le même, quand il répond à Noam – plus sec. Il ne se donne même pas la peine de se retourner. Merci.

Gio ne voit pas très bien ce que le compliment de Noam à propos des mandolias dans ses cheveux vient faire là mais soit. Il en a rien à carrer de toute façon. S'il pouvait juste dégager bien vite, ça l'arranger–

Puis tout à coup, ça siffle dans ses oreilles.
Comme un acouphène ----------- déclenché tout à coup par un son qu'il n'est pas sûr d'avoir bien reconnu. Mais il ne se retournera pas pour vérifier.
Parce que ça tourne un peu autour de lui – son corps aura compris avant sa tête.
Ce qu'il se passe juste derrière lui.

Juste derrière.
Imperceptiblement, son dos s'est tendu, les épaules lentement penchent vers le sol. Les doigts qui s'enroulent nerveusement autour des accoudoirs et il a du mal à déglutir quand il entend.
Chéri.

Chéri.
Personne ne verra le choc se dessiner sur son visage, les yeux déjà perdus dans le vague quelque part le long des gouttières des maisons. Le reste des phrases de Noam lui passe par dessus la tête. Pulvérisé par le sifflement continu dans ses oreilles. Il ne s'entend même pas demander :

– Vous... vous êtes ensemble ?

Les réactions de Koha dans ses cheveux sont comme des aveux. Un léger à-coup à l'arrivée de Noam, puis ça tire un peu juste avant le trou noir. Mais ça lui fait bien moins mal aux cheveux qu'au coeur, à Gio. Et alors qu'il a l'impression que tout ses organes désertent petit à petit – peine à respirer, le vide dans la poitrine et au creux des entrailles – les mains de Koha dans ses cheveux, toujours et encore, pourtant si douces, lui rappellent douloureusement que la vie ne s'est pas arrêtée. C'est doux mais ça brûle, comme une torche qui tenterait d'éclairer le voile sombre qui s'est formé dans son regard. Mais il ne voit que les ténèbres.

Des tâches sombres qui envahissent sa vision et pourissent les mandolias de la place. Chaque phrase que prononce Koha et qui parvient à trouver le chemin de son cerveau lui fait encore plus mal. Innocente insouciance qui salue le doux quotidien alors que Gio voudrait l'entendre dire

Qu'est-ce que tu fais, Noam ?
Qu'est-ce que tu racontes ?

Chéri.
Et la peine acide au creux de la poitrine coule dans son corps comme un poison – lui donne envie de vomir.

Mettre des fleurs dans les cheveux de Noam.
Envie de vomir.

Cette fois les doigts de Gio sont crispés autour des accoudoirs au point de faire blanchir les jointures de ses phalanges. Il s'accroche pour ne pas trembler ; ne pas laisser voir ses espoirs s'effrondrer en milliers de miettes sur les pavés. Enfin il arrive à expirer un peu d'air de ses poumons compressés. Oh, si peu, alors que la confirmation de Koha arrive comme le coup de grâce et bloque à nouveau sa respiration. Il se mord la lèvre. Se retient fort, si fort, de ne pas arrêter ses mains qui courent toujours dans ses cheveux, bien qu'elles y provoquent une brûlure insoutenable.

Les précisions de Noam ont l'avantage de lui faire serrer les mâchoires et froncer les sourcils. L'avantage, parce que l'amertume qu'il ressent à ce moment là compense un peu la douleur. Ça fait nettement moins mal la colère, nettement. Elle est même rassurante, cette chaleur mauvaise au fond du ventre, remplit un peu le trou béant laissé par le chagrin. C'est un engrenage bien familier, le rouge peu à peu prend toute la place, il sent à nouveau son corps, le sang dans ses veines. La jalousie le bouffe de l'intérieur et putain ça lui fait un bien fou d'imaginer foutre son poing dans la gueule de Noam plutôt que la bouille de Koha entre ses mains à lui.

Gio essaye de ne pas bouger mais c'est tout le haut de son corps qui brûle maintenant et ça le démange. Le coup du mariage est une nouvelle gifle en pleine figure, c'est clair, et pourtant Gio l'accueille dans un rictus qui ne traduit pas que de la souffrance. Un peu d'effarement aussi, et un amusement mauvais, un sourire malsain. Noam se marier, c'est la meilleure vraiment. Mais il essaye de ne pas penser aux multiples et perpétuelles aventures de son ancien camarade parce que quand il imagine Koha au milieu de tout ça, ça le met hors de lui. Imaginer les joues roses de Koha dans des mains aussi sales, ça lui donne encore plus envie de gerber.

Gio remue un peu sur sa chaise encore, mais sans troubler Koha dans son travail. Il ne sait plus très bien s'il veut qu'il finisse sa coiffure. Ça n'a plus de sens, si ?

Il s'immobilise soudainement quand Noam apparaît dans son champ de vision. Bien content que son visage se soit paré du voile de la colère ; il n'aurait pas supporté que Noam aperçoive sa détresse. Sans se voir dans un miroir, Gio sait à quoi il ressemble – ses iris n'ont probablement jamais été aussi sombres. Et il détaille Noam dans un silence de mort, la rage soufflée si doucement par les narines pour ne pas alerter Koha. Ses airs malins lui donnent envie d'écraser son front au milieu de son nez de grand enfoiré mais il se contente de souffler encore, comme un lion en cage. La cage lentement tricotée par les mains délicates de Koha dans ses cheveux – il se sent un peu comme tenu en laisse tout à coup.

Ça ne l'empêche pas de lâcher l'accoudoir pour attraper le col de Noam et le tirer tout proche, si proche que le bout de son nez touche presque le sien. Et ça le débecte mais c'est le prix à payer pour que Koha n'entende rien de ce qu'il va dire. Le souffle mauvais encore, et des mots à peine murmurés les yeux plantés dans ceux de l'autre.

– Crois-moi tu ferais mieux de pas m'inviter parce que c'est pas des pétales de fleurs que tu vas retrouver par terre.

Les mains serrées tout à coup encore plus fort dans ses cheveux alertent l'inconscient de Gio. Il ne capte pas tout de suite, se contente de les ignorer en attrapant le fils du maire par le col. Aveuglé par la colère et la jalousie, enragé par les provocations de Noam. Ça le tue encore plus d'avoir cette impression que ça l'amuse. Pourquoi ça l'amuserait ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle à marier Koha ? Gio, ça le fait pas rire du tout. Encore moins d'avoir l'impression qu'on se paye sa tête.

Mais ce sont juste des impressions, Gio. Bientôt la main de Noam vient repousser calmement sa poigne et il lui faut une seconde pour retrouver ses esprits. Dénouer difficilement ses doigts du tissus immaculé. Comme c'est dur de lâcher prise. Lâcher prise sur la colère qui l'anime, sur cette envie de tout foutre en l'air. Ça lui paraît impossible et pourtant, les derniers doigts ont bien quitté la chemise et même si son visage reste froissé, le regard sombre comme la nuit, Gio sent bien au fond de lui la roche se briser. Il soutient le regard de Noam dans un dernier effort mais il n'est plus qu'une carapace, une façade qui tient debout bien que tout, absolument tout, se soit écroulé à l'intérieur. Le temps que met Noam à se retourner lui paraît durer une éternité. Une éternité pendant laquelle il s'efforce de tenir, juste encore un peu.

Jusqu'à ce que la surface blanche de son dos commence à s'éloigner et alors seulement Gio lâche prise. Pas trop, juste de quoi pouvoir respirer à nouveau. Juste de quoi laisser s'éparpiller par terre les gravats de son ego en miettes. Pas ceux de son coeur.

Parce que Koha continue de tresser des mandolias dans ses cheveux et qu'il est hors de question qu'il voit le chagrin l'accabler. Gio repense à sa poigne dans ses cheveux et il a peur, trop peur, de savoir ce qu'elle signifie. Trop peur de réaliser que, peut-être, Koha le serrait parce qu'au fond de lui, il savait. Comme s'il savait combien ça lui ferait mal d'apprendre ça.

Alors ouais, Gio il garde encore un peu les morceaux de son cœur accrochés les uns aux autres pour ne pas les laisser s'effriter sur la place publique. Parce qu'il en a déjà assez fait, n'est-ce pas ? Menacer Noam devant tout le monde, c'était déjà sûrement bien assez. Le goût acide dans sa gorge s'intensifie rien qu'à imaginer ce que pourrait dire Lucia si ça venait jusqu'à ses oreilles. Mais peut-être qu'elle comprendrait, au final, en croisant Noam et Koha main dans la main, dans les rues.

Les épaules un peu voûtées, le souffle difficilement retrouvé, Gio finit par lever une main à nouveau vers celles de Koha pour l'interrompre. Avec douceur mais fermement, entrelace ses doigts avec les siens pour le faire lâcher.

– C'est bon Koha, arrête.

La voix plus marquée par la tendresse et le regret encore que par toute forme d'amertume. Il ne veut pas lui laisser penser qu'il lui en veut. Même si, au fond... il se pourrait bien que sa colère se tourne un peu vers lui aussi. Pour une fois, il relâche ses doigts sans attendre, sans les garder plus que nécessaire entre les siens. Et sa main le brûle autant que sa tête.

– Je vais rentrer chez moi.

Est-ce que c'est la peine de s'inventer une excuse ? Il n'ose pas lever les yeux vers Koha pour vérifier s'il comprend. Il ne veut pas lui montrer comme son regard s'est assombri. Ni risquer de croiser les couleurs irrésistibles de sa gueule d'ange. Pourtant il reste planté là, les bras ballants et le regard braqué sur la chaise qu'il vient de quitter. Juste pour s'assurer, avant de filer, que tout ira bien pour lui.

Gio ignore si les silences de Koha rendent les choses plus faciles ou plus compliquées. Il n'a pas vraiment pris la peine de les écouter, alors qu'il tournait sa colère vers Noam, mais maintenant qu'ils ne sont plus que tous les deux, ils résonnent d'une autre manière – assourdissants. Son silence face aux déclarations de Noam, son silence lors de son départ, son silence face à la réaction de Gio et son silence maintenant, quand il s'apprête à partir lui aussi. Parce que Koha a beau gribouiller une réponse, Gio sait lire les incertitudes dans sa voix – il en a tellement, tellement l'habitude. Il perçoit le flottement dans son regard aussi nettement que la lune au milieu du ciel de nuit dégagé.

Il sait pas si ça aurait été plus difficile de le voir sûr de lui et confiant, heureux avec Noam. Tout ce qu'il sait c'est que son silence cette fois lui fait beaucoup plus mal que toutes les autres. Sûrement parce qu'il vient confirmer, malgré l'absence criante d'enthousiasme, la réalité de la situation. Koha est avec Noam. Et même s'il trie ses fleurs en silence, même s'il ne s'est pas empressé de l'embrasser pour lui dire au revoir, il a fait ce choix-là. Et Gio en a le cœur amer. La tête et la main qui brûle.

La voix serrée qui l'empêche de répondre quoi que ce soit. Il voudrait lui dire au revoir. Il voudrait lui dire au revoir d'une façon différente, spéciale. Mais l'au revoir – l'adieu ? – auquel il pense dépasse évidemment le champ d'une simple séparation momentanée. Ce n'est pas simplement Koha qu'il quitte sur la place aux mandolias.

C'est Koha et quelques morceaux de son cœur à ses pieds.