[TERMINE] (flashback) Phantom visions –Zachary

C’est étrange comme tout peut sembler des plus ordinaires : les mêmes pavés sous les semelles, le même air, la même routine qui s’enroule familièrement autour des pas. C’en est presque drôle parce que si les bouleversements s’annoncent, on choisit toujours d’être aveugle aux présages. Un désastre peut bien le frôler, Nikolai n’en voit pas l'ombre funeste, ne peut pas concevoir un tel choc ailleurs que dans ses rêves les plus fourbes.
C’est qu’il a à peine pris pieds, Nikolai, dans cette vie si neuve, si flamboyante même dans ses zones d’ombre. Il joue encore avec ses limites, plonge en eaux profondes avec un sourire béat puisqu’ici, il n’y a aucun passé (non?).
Alors il n’y a rien à craindre, c’est évident, lorsqu’il passe la porte du café, non, rien à craindre lorsqu’il noue le tablier à sa taille, rien à craindre lorsque le sourire se fait si grand, le rire sincère auprès de ces étrangers qui ne sont plus si inconnus, oui, il n’y a rien pour le briser, c’est une certitude, c’est absurde de croire que quoi que ce soit pourrait le briser ici, si loin de son histoire– oui c’est loin, si loin, les bas-fonds et les blessures;

Pourtant,
Ca gratte sous la peau, c’est un ongle curieux qui agresse une cicatrice trop douloureuse chaque fois qu’une longue chevelure sombre capte le regard. Et ça agite le pouls à chaque fois, à en faire tourner la tête.
Jusqu'ici la réalité l’a toujours rattrapé, l’empêchant de ciller. C’est bien un énième jeu de son esprit, si vilain, de lui rappeler son existence. Alors une fois de plus, quand le geste se suspend dans les airs, une tasse à la main, le palpitant s’agite, le souffle se coupe et le même mantra s’écrit en boucle dans le crâne

Sauf que cette fois, la vision se fait nette et il vacille. Le café peut bien brûler sa main dans un sursaut, noircir le comptoir, Nikolai n’est plus qu’une figure maladive que rien ne sort de sa torpeur. Ca ressemble à une mauvaise blague, c’est impossible, ça le déchire trop pour qu’il ne puisse réagir. Il est rendu sourd au monde, un silence assourdissant lui rompant le crâne, là, au rythme des battements de son cœur effréné et tout est trouble.
Ce n’est pas possible, non ?
Non.

Tout mais pas ça.
Ce n’est qu’un court instant et déjà l’eau s’engouffre dans ses poumons, l’air brûle et Nikolai maudit tout en ce monde. Et c’est long, si long, ces secondes qui s’étirent, il ne sent même plus son corps agir, spectateur uniquement de cette main qui pose la tasse, de la voix qui répond à la cliente (que dit-il?), étranger à son corps et ses gestes, l’esprit noyé en eaux profondes lorsqu’il ne peut que se précipiter vers le mirage. Ses ongles percent la paume de ses mains tant les poings se serrent, fébrile jusqu’au souffle tremblant. Pourquoi ? Nikolai devrait fuir dans l’autre sens alors pourquoi la main se tend, pourquoi saisit-il l’épaule, la poigne dure quand il manque de tituber. Oh, comme il doit être pitoyable, livide, il le sait, il s’est bien vu des milliers de fois pâlir à la simple évocation de ce prénom qui s’enroule maintenant à sa gorge.

Alors comment ne pas s’écrouler, quand la plus grande de ses peines se tient si solidement devant lui ?

Et c’est terrible à quel point le destin sait rouvrir les pires blessures. Parce qu’on peut bien affronter toutes les plaies, y foutre ses doigts dégueulasses jusqu’à les infecter, il n’en a que faire, Nikolai, il peut toutes les peindre de sa rage.

Mais s’il y a une plaie qu’on ne peut toucher, s’il y a une plaie où aucune suture ne tient– tant elle brûle! tant elle est douloureuse! à vif! – c’est bien


Chaque syllabe roule sournoisement, vibre dans tout le corps jusqu’à la langue qui ne se souvient encore que trop bien de leur prononciation, de la douceur glissée dans chaque son de ce simple petit nom. Vile est sa mémoire, si vile, lorsque le corps et l’esprit goûtent amèrement les souvenirs les plus doux, si doux, (si amers) jusqu’à sentir à nouveau l’étranglement que ces trois syllabes ont causé à force de les hurler, il y a douze ans de ça;


C’est un cri qui s’éteint et des yeux asséchés d’avoir trop pleuré sans qu’il ne guérisse. Et lui qui avait appris à se méfier des mauvais tours de la vie, n’aurait jamais cru le revoir, ne pensait que faire face au fantôme et se maudire pour chacune de ses pensées pour Lui.
La trahison est si vieille ! Pourtant, c’est comme si c’était hier, qu’il baignait Zachary de regards énamourés, c’est comme si c’était hier qu’il avait seize ans et goûtait le sel de l’abandon sur ses lèvres. Tout se mélange, tout se bouscule brutalement dans son crâne et que faire ?
Il ne peut que serrer les mâchoires à en avoir mal, sentir le visage se tordre dix fois quand tout blesse; l’air, le soleil, cette main toujours crispée sur l’épaule, un trop plein de tout enfle dans sa poitrine, le déchire. Tristesse, amertume, rage– Oh, c’est trop, il en a encore le souffle qui se brise, le cœur battant un rythme assourdissant. Et il se déteste, comme il se déteste lorsque le regard qui se veut dépourvu d’intérêt ne cesse de courir sur les traits changés, avides de chaque détail, oh, il a été si affamé de lui et c’est cruel, si cruel ! Ca le brûle au fer chaud de remarquer tout ce qui a changé sur le visage qu’on a aimé; oh, pire cruauté! c’est affreux quand il se noie dans ces pupilles si claires, ces immondes yeux! –il les maudit mille fois, encore et encore sans pouvoir s’en défaire.
Toutes les faiblesses s’exposent dans ses yeux sombres, c’est terrifiant, si terrifiant qu’il faut bien se saisir de la rage pour faire taire ce cœur qui souffre de toutes ces choses qui s’affrontent en lui. C’est mérité, c’est bien la seule chose que Nikolai peut lui donner lorsqu’il se voit bien incapable de jouer le nonchalant.
Oui, il faut accueillir la rage, c’est acceptable, il peut imaginer tendre les mains, saisir cette gorge jusqu’à ce que sa vie soit entre ses paumes, oui, c’est acceptable, ça. Mais il y a aussi ce désir traître de lui hurler mille questions, mille accusations, pleurer et crier encore tous ces mots qu’il n’a pu dire qu’au vide. Ça détruit tout, ça le ronge si vite, Nikolai et c’est impossible à accepter, ça nourrit la rancœur furieuse quand sa simple présence le ruine après tant d’années.

Il faut saisir à bras-le-corps le cœur en vrac pour que les lèvres s'entrouvrent et crachent d’une voix râpeuse ce nom qu’il pensait banni, devant cette ombre qu'il pensait disparue.

– Zachary.

Ces peines ne cesseraient donc jamais?

Il a toujours été si fort pour fuir, Zachary, ça ne devrait même plus déchirer le cœur de le voir prendre ses jambes à son cou, ça ne devrait même pas le secouer, non. Mais si la raison lui crie de retourner à sa vie, corps et cœur s’opposent et s’imposent jusqu’à retenir Zachary, ce fuyard, ce traître.
Et si Zachary prononce des jurons, Nikolai n’entend pas, Nikolai n’entend rien, ne voit que le visage, ne sent qu’une tempête enfler dans la poitrine avec ces doigts qui ne se détachent pas du fantôme
C’est l’ombre d’une figure, un profil qu’il n’aurait pas dû retrouver, non, pas lui, surtout pas lui, qu’on a cru mort, blessé ou pire! juste heureux loin de lui. Et il se tient bien devant lui, il parle, même !
La voix a tellement changé, pourtant, c’est bien le même fond, le même ton nonchalant et,  comment ose-t-il ? Les mots semblent sortir si facilement et le brûlent tant,

Son nom se pose sur ses lèvres si viles sans un tremblement et Nikolai, lui, il tremble, il sent l’âme entière se dissoudre parce que c’est injuste, c’est cruel            

C’est douze ans de douleur, toute une vie perdue qui le roue de coups quand ce simple nom reprend toujours sens dans cette voix.                      Si cruel

Ca en tord le ventre de Nikolai, déforme le visage qui ne sait plus quelle émotion emprunter, ne peut pas faire semblant quand Zachary est            si imperméable
A croire que ces années n’avaient été qu’un grain de poussière misérable pour lui, à croire que Nikolai avait été le seul à y voir l’unique lumière de son existence. Zachary avait tout été pour lui, un trésor digne d’être protégé, impossible à oublié.        
Il a donc eu raison, Nikolai, toutes ces années,                                

La main ne peut que relâcher l’épaule, brûlée par la blessure si flagrante qu’il lui inflige et les yeux se bordent de douleur, ne peuvent cacher la tourmente. Il est ébahi, les lèvres entrouvertes ne laissant qu’un souffle tremblant s’échapper. C’est un simple instant mais tout semble si long, si terriblement lent, il se sent exposé face à Zachary, en quelques secondes, trop longues, bien trop longues, sur le visage, il a dû lire tout ce coeur remué            
ça fait si mal

Il en a les entrailles tordus, Nikolai, il pourrait bien avoir été éventré ça aurait été du pareil au même, Zachary le tue, il l’assassine en quelques paroles         

tu le tiens toujours dans ta paume, Zachary    

Alors quand la voix butte sur ses lèvres, quand les sanglots menacent,  c’est un rire âpre qui se casse, qui brûle sa gorge et 
c’est drôle comment la rage se saisit de la peine.

Les ronces de sa colère se nourrissent de la tourmente, il a un goût de bile si amer sur la langue, ça le brûle et ça fait toujours si mal quand le rire s’éteint dans le feu. Si mal quand la voix râcle sur chaque mot.

– Qu’est-ce que je putain de fous là ? Tu te fous de ma gueule Zachary ?

La douleur peut bien le ronger, Nikolai voit rouge, peut bien porter la souffrance dans le regard quand  la rancœur et la fureur s’emparent de lui. Il ne faut qu’un instant pour se saisir du col de l’insolent, ce traître, ce monstre d’indifférence, le tirer à lui pour n’être qu’à un souffle          à quoi tu joues, Nikolai?
La voix tremble tellement, on doit entendre le cœur qui palpite tant, déchiré lorsqu’il crie presque.

– Douze ans ! Douze ans Zachary putain ! Et t’oses venir me montrer ta sale gueule ? c’est drôle, ça arrache encore un rire, ça donne envie de pleurer alors on hurle [b]T’es qu’une sale merde Zach t’as aucun droit de te pointer devant moi ! Aucun !

Les mains pourraient déchirer le tissu de son col tant elles le torturent à le tirer, tant elles tremblent alors que les dents claquent si proches de son visage à chaque mot.

– T’as bien joué hein ? Il sent même son parfum, ah, comme il s’enlise, comme il se hait, à ne plus rien voir d’autre que lui.  Ça a dû être la barre du siècle de me laisser penser qu’on allait sortir de ce foutoir ensemble hein ? On le pousse dans l’allée comme si la proximité le dégoûtait quand on ne veut que se fondre dans ses bras, pleurer et oublier chaque seconde éloignée de lui ..J’ai attendu des jours, des mois que tu reviennes, comme un crétin                            
mais c’est impossible, n’est-ce pas?

– Comme si t’allais revenir me chercher ou que c’était une erreur, ah! T’as bien joué ton coup Zachary hein ?

Il y a trop de rancœur, trop de blessures, ça fait bien longtemps que Nikolai ne croit plus aux rêves. Il  peut juste serrer les poings à en ouvrir la chair, laisser des lignes rouges couvrir ses paumes et cracher douze ans d’amertume. Il a le corps qui tremble, le souffle trop court pour continuer à s'époumoner et il faut bien qu’il réponde, il faut bien qu’il alimente la rage, Zachary, oui, qu’il l’alimente, Nikolai n’attend que ça,                               ouvrir les plaies et voir le sang couler

Il ne peut pas se retenir Nikolai. C’est des siècles de poison, des siècles de questions qui brûlent sur les lèvres (si seulement il savait tout ce qu’il a porté en lui, toutes ces années) et que faire si ce n’est hurler lorsqu’il est si immuable ? Ne mérite-t-il que l’indifférence ?

Comment y survivre à cette douleur qui le lacère, il ne sait pas, il peine déjà tant à survivre, peine bien trop à tenir debout face aux vicieuses paroles. Parce qu’elles l’atteignent et le heurtent; il peut le lire dans ses yeux, c’est sûr que Zachary le lit dans ses yeux. Il avait toujours été bien plus doué pour deviner tout ce qui se tramait, ne jouait l’aveugle que pour survivre (pour ne pas s’encombrer de lui, c'est ça ?). Et la colère gronde, gonfle car on ne peut riposter dignement aux paroles. Nikolai sent bien qu’il a raison, qu’il n’y peut rien     mais

Nikolai répond vainement, comme un enfant qui se cherche des excuses parce qu’il refuse d’en donner une seule à ce traître.

– Je m'en branle Zachary que t'aies pas prévu d'être ici et tu sais très bien que t'as rien à faire devant moi vu comment t'as pris tes jambes à ton cou tu sais bien le faire ça, Zachary, le fuir encore et encore et le laisser avec les réminiscences de ce qui avait été, Hein ?

Et peut-être qu’il essaye de trouver une once de regret dans les yeux pâles, même une toute petite qu’il pourrait saisir. Ça serait assez pour qu’il range la rage, assez pour qu’il se laisse aller aux larmes et essaye de comprendre, rapièce le pauvre cœur piétiné pour mieux le lui donner encore une fois.
Sauf qu’il est si difficile de lire Zachary; ses mots sont trop durs à vivre, son dédain insupportable quand on tenait (tient toujours) tant à lui. Alors Nikolai perd toujours plus pied, n’a plus que des ricanements incrédules (souffrants) à offrir en réaction lorsque Zachary le couvre de reproches éhontément.

Il ne sait pas, Nikolaï, peut être qu'il a grandi en quinconce, dans les angles morts, peut être que face à Zachary, il n’est qu’un enfant, à nouveau si faible, si émotif et qu'on ne s'en remettra jamais (il ne s’en remettra jamais), alors il s’offre dix fois en spectacle,      tant qu’il ne lui offre pas ses larmes      
rouvre la gueule pour japper à bout de force

– Grandir ? Il le regarde si âcrement quand Zachary dit ces mots oh crois moi j'ai grandi (si mal, il a si mal grandi dans cette gadoue) je suis plus le gosse que t'as abandonné (menteur, il n’est devenu que plus laid, gâché) A qui la faute ? (c’est tellement plus facile de l’accuser)

Et comment résister face aux réprimandes qui pleuvent ? Nikolaï regrette tant d’avoir poursuivi le fantôme, ne peut qu’abattre sa main,faire taire par la force les si vilains mots (insensibles).
Et ça fait si mal d’apposer la violence sur celui qu’il avait autrefois tant préservé des maux, il sent la brûlure du coup sur sa main, pourrait s’en haïr (de le faire souffrir ou de ne pas le supporter?)
Mais il lui faut bien faire taire la voix vicieuse s’il ne veut pas s’effondrer, il lui faut bien montrer qu’il a tort, tellement tort Zachary                              (a-t-il vraiment tort?)
Et il a bien l’air ridicule, Nikolai, quand il ne peut rester loin de lui, quand il se tient si proche pour le sentir bien vivant entre ses doigts                                    

La voix siffle, si proche qu’on peut croire à un murmure complice, si seulement les traits ne portaient pas le dégoût, si seulement les mains ne se serraient pas sur cette gorge si douce lorsqu’il agonise un peu plus à chaque mot .Ferme ta gueule Zachary, ça se crispe, ça se dit- il suffit d'un geste si facile, pour qu'il ne meure, mais       Ferme la !               Ça tremble et ça grince des dents, ça aboie sans réussir à briser le cou de ses crocs.    

(comment peut-il le tuer quand l’amour inavoué n’a jamais réussi à pourrir ?)

Ca préfère encore claquer des dents vainement.
– T'as vraiment cru que fuir ça ferait de toi quelqu’un de meilleur ? Quoi, que ça te donnerait la belle vie comme si tu la méritais ? Il lui crache du venin au visage, secoué par une peine qui recouvre les traits, là dans la rage, impossible à cacher (la voix s’en étouffe en murmure) Après m’avoir abandonné dans la gueule du loup pour sauver ton cul, t’as vraiment cru que tu méritais autre chose qu’être misérable ?

Et ça fait si mal d'entendre tout ça, de dire tout ça, les mains tremblent à son cou.
Si tu savais la vie que vous aviez Zachary, pourquoi l'y avoir laissé se décomposer ?

Tout peut changer si brutalement. Les murmures précieux se sont changés en cris ignorés, les tendresses abandonnées pour la brutalité. C’est comme si grandir ne leur avait qu’appris à se dévorer le coeur, en déchiqueter chaque douceur avec violence puisque la vie leur avait fait mal. Pourtant, Nikolai n’a qu’envie de se laisser choir dans ses bras, il n’a pas envie de lever cette main, ne supporte pas ce sang qui perle– il pourrait en pleurer, s’en déteste d’être si faible, si lâche.

Ca a toujours été plus simple de gratter les croûtes, dans leurs non-dits, ils ne savent que maltraiter leurs chairs, secouer leurs peines pour mieux se blesser encore, n'est-ce pas Zachary ? Il est si loin le temps où ils pansaient leurs plaies. Nikolai en a le cœur qui chavire, une nausée putride au bord des lèvres lorsque tout n’est que cris et agressivité. S’il ne peut toucher Zachary que de cette manière, il semble qu’il est prêt à tout (ou presque, n’est-ce pas ?), se fout bien des larmes qui menacent quand la provocation de Zachary se tait dans la suffocation            
(tu ne vois pas comme il suffoque lui aussi, Zachary ?)

On ne peut qu’attaquer pour faire taire les maux, c’est vilain, c’est si laid –regardes Zachary ! Regarde ce à quoi tu le pousses.  On veut tout faire taire, surtout toutes les pensées qui l’assaillent et celles-là ne se taisent jamais, elles ne bourdonnent que plus quand la voix s’étouffe.
Et il se déteste, oui, il se déteste tant Nikolai à trouver un réconfort dans les traits qui se tordent ; dans la douleur, il ne peut plus être de marbre, il peine, Zachary, oui, il est misérable comme lui et c’est horrible   comme ça l’hypnotise, comme il est incapable d’écouter le râle. Il ne peut ni le relâcher, ni briser sa nuque, n’est-ce pas ridicule ?
Nikolai ne peut que prier, espérer sans un mot de plus, le regard vide et il est si redevable lorsque ses paumes quittent le cou de Zachary, si soulagé et si déçu de ne plus le tenir entre ses doigts ! Ca l’irrite, ça le brûle encore et il ne peut que l’observer, que voir les traits encore difformes et se maudire (qu’il est beau) dix fois, vingt fois, ses mots en écho à ce visage qui s’agace, des paroles qui l’attaquent, encore, si véhément cette fois et ça blesse tant, ça rallume un feu qui semble ne jamais vraiment s’éteindre face à lui. Immobile, si loin (trop loin), Nikolai ne peut que le regarder, sentir la fatigue le ronger si vite lorsque les réponses se font silencieuses. Que croyait-il faire ? Il le sait bien, Zachary, il le voit bien dans la crainte au fond de ses yeux clairs, que Zachary sait très bien et ça le terrorise de voir l’effet qu’il a sur lui. Les mains tremblent, les lèvres se pincent, que dire ? Il faut bien mordre la joue, sentir le métal sur la langue pour réussir à faire naître un sourire éreinté sur la bouche.

– Tu veux vraiment jouer l’étonné ?


Face à Zachary, plus rien n’est une force, tout ne semble que monstruosité, difformité d’une survie malsaine là où il avait échoué à fuir. Il pourrait s’en arracher la peau, ne peut que remettre de l’huile sur le feu et savourer l’odeur du gasoil sur ses doigts, éternellement.

– Un conte de fée ? Mais Zachary c'est toi qui a pété les plombs si tu penses que j'ai eu le temps de rêvasser ! La voix se craquelle un peu plus  à chaque seconde, tu penses que j'ai foutu quoi toutes ces années là-bas ? Même quand t’étais là Zach t’as cru que je foutais quoi ? C’est qui, d’après toi, qui–

Ca se rompt, ça refuse de parler, ne peut pas révéler la vérité évidente d’années à protéger Zachary, ne peut pas couper à ce point sa chair avec tout ce qu’il avait décidé de ne pas voir, de ne pas entendre.
Mais

N'a-t-il pas déjà assez donné, Nikolaï ? Ça brise en mille morceaux, les accusations si terribles (peut-être parce qu'elles visent juste) jusqu'à marquer trop de douleurs sur le visage, dans le pli déçu des lèvres, la courbe blessée des sourcils, l'œil vitreux, si sombre. Et c'est comme secouer une boîte pleine d'éclats de verre, ça ne laisse que du sang et un esprit abimé. La chance ? Il y a un silence, une latence et Nikolai a le rire si fort, si cassant qu'il peut justifier les larmes qui échappent des yeux tant que le regard se couvre de méchanceté lorsque l'éclat soudain se stoppe (il n'y arrive qu'à moitié, à jouer les terribles vilains, ne peut qu’avoir les blessures sur ses armes)

– Va falloir remettre les pendules a l'heure Zachary parce que de ce que je me souviens si t'as eu une seule putain de chance dans ta vie c'est grace à moi. Grâce à mes efforts, mes suppliques. Tu sais combien de fois ils ont voulu te virer ? Combien de fois j’ai pris pour toi, combien de fois j’ai tout donné ? Tu crois vraiment que tu peux jouer les pauvres Cosette ? Tu sais très bien tout ce que je faisais, tu veux vraiment que je le dise Zach ? Ca tremble tellement, c’est chevrotant à chaque mot, un murmure plus que des cris désormais Continues Zach, continues et cette fois je lâcherai pas ta putain de gorge. La menace est si futile, Nikolaï, quand tes mains tremblent tant, quand la bouche peine déjà à cracher plus de venin encore, tu patauges dans tes mots. C’est un chuchotement mauvais, qui l’éventre autant qu’il ne blessera Zachary, peut-être plus quand il sait très bien qu’impulsivement, la lame se sert des pires faiblesses, de ce qu’on avait toujours dit intouchables.

– La différence entre toi et moi Zach, c’est que j’aurais tout donné, j’ai tout donné pour toi. Je pouvais bien toucher le fond si t’étais en sécurité avec moi, je pouvais tout faire tant qu’on était ensemble, putain. La différence Zach c’est qu’on a toujours parlé de fuir mais jamais de s’abandonner et toi t’as choisi ça plutôt que me faire confiance–

La voix s’étouffe, se perd en sanglots enragés, trahis et c’est trop, c’est bien trop pour le coeur à vif. On se souvient des promesses, de la boîte bien cachée sous la latte du plancher pourri, toutes ces merveilles qu’on noyait dans la crasse pour mieux pouvoir s’en régaler, tout cramer pour leur fuite.
Sauf que,
Sauf que Zachary il est parti. Sauf que Nikolai il n’a su que brûler chaque billet dans les futilités sans boussole. Ca le détruit, il ne peut plus rien dire, ne peut que l’accuser du regard et rompre la distance, fébrile, ridicule si ridicule le visage couvert de larmes. C’est bien un enfant, quel enfant il fait oui, les yeux rougis. Un enfant trop plein de fureur, surtout trop plein de plaies béantes. Et il ne peut que chuchoter les mots, la main à nouveau crispée sur le col, si fragile cette fois.

– Je veux plus te voir une seule fois, j’en ai rien à foutre que tu vives ici, barres toi, juste barres toi c’est compris ?

Cette fois la main le jette avec si peu de convictions.

C'est comme laisser sa main au-dessus d'une bougie. La chaleur a beau être transperçante, l'air a beau se charger d'une odeur de brûlé, Nikolai ne peut pas retirer sa main du feu. Il regarde la peau s'étioler, rougir, blanchir jusqu'à noircir sans bouger d'un cil. C'est lui qui brûle comme ça? Il n'est plus là, il est si loin de son corps, si loin et si proche, c'en est insupportable et il ne sait pas comment répondre aux vilenies qui sifflent sur les lèvres de Zachary. Il ne sait plus quoi répondre parce qu'il y a une part de vérité, il y a des tâches au tableau et Zachary n'en est pas le seul responsable. C'est si vieux, toutes ces histoires, si vieux et il a pourtant l'impression que les enterrer reviendrait à tout perdre      

Alors Zachary le tue à petit feu et Nikolai ne peut que rester démuni, les bras ballants, la mâchoire trop serrée et la peine coincée dans la gorge avec tout le ressentiment gorgé d’affection qui va avec Zachary. Que peut-il bien dire ?

Bravo Zachary, tu as gagné, tu gagnes toujours, n’est-ce pas ?

Nikolai n’a plus de mots, n’a que ses doigts glacés pour essuyer les sanglots

Il a le regard rougi, le corps glacé par le vent et cette distance qui ne fait que grandir entre eux. Nikolai ne peut qu’avoir l’air si petit, même quand il se redresse, prend les airs fiers dans cet état pitoyable pour daigner répondre aux mots, la voix si faible qui s’arme de dureté du mieux qu’elle le peut.

– Soit. C’est comme ça que tu veux voir les choses, grand bien t’en fasse.

Et c’est difficile de se retourner, laisser le fantôme bien réel seul sans lui jeter un dernier regard, les poings serrés et un goût de rage amer sur la langue. Il a bien réussi à attiser la haine, Zachary, une haine en demie-teinte non pas pour la violence mais pour ce doute qui persiste, oh comme c’est vicieux, cette envie de se ruer à ses pieds, supplier s’il le faut, tout pour ne pas s’éloigner. Nikolai sent son esprit se jouer de lui, ne lutte que par fierté et crainte, oui, attisons la rage, enterrons le reste, tout le reste puisque les cendres de ce qu’ils étaient ne sont bien que des cendres pleines de poison. Il se le promet, plus jamais, oui, plus jamais il ne donnerait quoi que ce soit à Zachary.