ft. Sonia - The legend of Zelda
❥ Tout avait bien commencé, pourtant. Camomille était née de parents certes pas trop riches, mais avec chacun un travail, avec un appartement, avec une voiture. Les médecins l’avaient décrétée en bonne santé. On l’avait ramenée à la maison enveloppée dans une grande couverture rose en lui chantant doucement des chansons, en lui promettant un futur radieux.
Tout s’est gâté lorsqu’elle a eu quelques années. Sa mère qui adorait avoir un poupon blond et facile à vivre n’avait pas un grand intérêt pour un enfant qui grandit. Si elle avait eu ce qu’elle voulait, Camomille aurait éternellement eu dix mois et n'aurait jamais eu d’opinions ou commencé à ressembler à une jeune fille avec de petites jambes rondes et de bonnes joues. Elle n’aurait pas eu besoin d’être accompagnée à l’école et ramenée ensuite. Elle aurait été bien plus pratique et bien moins vivante.
Ce n’était que des remarques au début, un peu dites comme des plaisanteries.
Ce n’était pas très grave.
Des blagues sur le fait que quand même, Camomille pouvait rentrer seule à l’appartement -à quatre ans-, qu’elle leur coûtait cher en haagelslag, que peut-être qu’ils allaient faire un autre enfant pour avoir un bébé à habiller.
Puis ce sont devenu des ordres.
“Tais-toi !”, “Arrête de manger !”, “Fiche le camp de là !”.
Elle est intelligente, Camomille. Elle a vite compris les règles. Rester au calme dans sa chambre, ne jamais rien dire, ne jamais rien demander. Elle a appris à se faire oublier, Camomille. A savoir quand l’orage venait dans sa direction et à s’en éloigner.
Et son père, demandez-vous ? Ça l'arrangeait bien qu’on lui fiche la paix, lui, alors il n’a jamais rien dit. C’est une figure silencieuse, une main jamais tendue, un amour jamais donné, son père. C’est un démissionnaire. Ou un complice.
Pourtant il y a eu de bons moments dans son enfance. Il y a eu des goûters d’anniversaire à l’école, des rires avec des amies, des après-midis à quadriller le quartier en vélo ou à faire du patin sur les canaux. Il y a eu des professeurs qui l’ont prise sous leurs ailes, cette petite fille si silencieuse et si vive, et lui ont donné une affection à laquelle elle n’aurait jamais pensé avoir droit.
Mais à la maison, toujours, elle a posé ses chaussures tout au fond du placard où on ne les voyait pas, elle a prétexté ne pas avoir faim pour ne pas voir les yeux de sa mère se poser sur son assiette, elle n’a jamais rien demandé pour la Saint Nicolas.
Elle s’est faite toute petite, si minuscule qu’elle en a même fini par oublier elle-même qu’elle existait.
Personne n’aurait pu s’attendre à ce qu’elle craque un jour. Pourtant un matin d’hiver où le vent soufflait contre les fenêtres, où la pluie tambourinait contre les murs, elle a fini par trouver quelque chose -du courage ? Du ras-le-bol ? Ou juste de l’instinct de survie ?- alors que sa mère s’approchait d’elle depuis l’autre bout du couloir.
Elle hurlait quelque chose, une cuillère en bois dans la main, et elle s’approchait. Impossible de se souvenir pourquoi elle lui en voulait mais Camomille se souvient bien de s’être dit que
cette fois, c’est la dernière. Cette fois elle ne souffrira pas juste parce que sa mère cherche la bagarre pour aucune bonne raison, cette fois elle ne se roulera pas en boule en attendant que ça passe, cette fois il faut qu’elle fasse quelque chose, sinon elle va en mourir.
Alors elle a couru, Camomille, elle a couru aussi vite que ses jambes voulaient la porter et elle a bousculé sa mère dans le couloir et elle a ouvert la porte d’entrée en priant que quelque chose arrive, qu’on la sauve, qu’elle puisse ouvrir la porte et s’enfuir quelque part où elle ne souffrirait plus jamais.
❥ Elle n’a pas beaucoup regretté sa vie d’avant, à part peut-être les haagelslag aux fruits. Elle n’en a pas beaucoup parlé non plus. Elle ne voulait pas gâcher cette seconde chance miraculeuse.
Il n’y a qu’Alistaire qui a eu quelques miettes de cette existence chassée sous le tapis.
Elle aurait voulu tout lui dire à la seconde où elle l’a vu la première fois dans son atelier. Elle s’était perdue dans le village, et lorsqu’elle l’a aperçu à la forge, avec sa mèche devant le visage et ses boutons sur les joues, elle a ressenti quelque chose passer entre eux.
Mais ce n’est pas quelque chose qui se fait, de raconter toute sa vie à un garçon qu’on ne connait pas, alors elle lui a juste demandé comment il s’appelait.
Elle a répété son prénom après lui. Et elle a souri, pour la première fois depuis trop longtemps, son petit sourire timide comme le soleil qui se lève.
Ils ont passé beaucoup de temps ensemble après ça. Elle s’est un peu plus ouverte aux autres, aussi, à tous ceux qui l’avaient accueillie à son arrivée et qui avaient eu, pour toute première réponse, qu’un regard vaguement effrayé et un long silence. Tout doucement, elle a fait l’effort de ne plus avoir peur de son ombre.
Et tout tranquillement, elle est tombée amoureuse d’Alistaire. La révélation lui est venue avant que
monsieur ne fasse sa déclaration, bien sûr, alors elle a attendu quelques années à ses côtés. Elle est patiente, Camomille, lorsqu’il le faut. Elle est loyale aussi. Elle n’allait pas flirter avec d’autres jeunes dans leur tranche d’âge juste parce qu’elle avait eu la chance d’aimer un timide, elle n’est vraiment pas comme ça.
Et s’il n’avait rien dit ?
Elle ne sait pas, et à quoi bon les
et si alors qu’ils ont fini par s’avouer leurs sentiments.
Ils ont eu la vie parfaite, celle dont elle n’osait pas rêver dans le petit appartement sur Terre : la maison à refaire, à rendre confortable, à transformer en nid douillet; les matins tranquilles au soleil d’été, à boire un thé et un café de concert; les fleurs partout dans le jardin, tressées en couronnes, dans des vases en bouquets, de la couleur dans chaque recoin; et même le chien.
Qu’est-ce qu’elle a bataillé pour l’avoir, ce chien. Qu’elle a dû lutter contre le mauvais caractère de son compagnon, formel dans son refus, intraitable. Il a mené une belle guerre, refusant baisers et petits gâteaux comme prix pour son changement d’avis, résistant aux attaques sournoises de questions au milieu de la nuit… Mais il a perdu. Et un midi elle est revenue à la maison, un chiot tricolore dans les bras, la démarche victorieuse. Elle l’a mis dans les bras d’Alistaire, cette petite boule de chaleur, et elle a décrété qu’il s’appellait Pruneau avec tout l’aplomb du monde.
C’était comme si l’univers avait décidé de s’excuser pour les seize premières années de sa vie. Sur toutes les photos que l’on prenait, Camomille souriait à s’en décrocher la mâchoire. Elle riait facilement, elle dansait tout le temps, elle était heureuse ! Si heureuse !
Elle aurait voulu que ça ne s’arrête jamais.
Même les soirs où il faisait trop noir, où elle était trop triste, elle pouvait s’accrocher à sa bonne vie. Même lorsqu’elle pleurait sur l’épaule de l’amour de sa vie parce que quelqu’un avait eu un mot trop fort près d’elle et l’avait renvoyée des années en arrière, à un monde de distance, elle avait la certitude que le malheur n’était que passager. Ici, rien ne pouvait lui arriver.
❥ La maladie n’a pas été fulgurante. Elle s’est faite une place silencieusement, se lovant tout contre son coeur si plein de joie, et n’a grandi que petit à petit. C’était qu’elle était un peu plus essoufflée qu’avant lorsqu’ils valsaient dans la salle de bain après une douche. Ou qu’elle avait plus de mal à tenir une journée de travail à couper des herbes. Elle a mis ça sur le dos de la vieillesse, ou d’un coup de mou.
Et puis elle n’arrivait plus à porter du bois jusqu’à leur cheminée.
Ce n’était pas très grave : elle pouvait en mettre moins dans le panier. Alistaire n’avait pas besoin de savoir.
Et puis petit à petit à petit à petit… Une victoire après l’autre, voilà comment on triomphe. Lorsqu’elle s’est rendue à l’évidence qu’il y avait un véritable soucis, il était bien trop tard. Il n’y avait plus qu’à économiser ses forces pour tâcher de gagner un peu de temps. Elle n’a pas pleuré, elle n’a pas tempêté. Elle n’avait plus l’énergie pour tout ça.
Camomille a voulu que ses derniers mois soient les plus gracieux possible. Que surtout, surtout, Alistaire ne soit pas triste. Ils sont si jeunes encore, elle voudrait qu’il la pleure une année tout au plus, puis qu’il ne garde que les bons souvenirs et qu’il avance dans la vie.
Alors toute l’énergie qui lui reste est mis dans ses efforts pour sourire, être joyeuse. C’est peut-être plus facile pour celle qui va s’en aller, mais elle fait de son mieux pour que ce ne soit pas trop difficile pour les autres. Elle rédige une pile de lettres -avec une plume tremblante- qu’elle adresse à tous ceux qui comptent dans sa vie. Ce sont des mots d’espoir, d’amour, des souvenirs qu’elle couche sur le papier. Il y en a même une pour Pruneau. Il y en a une d’une dizaine de pages pour Alistaire.
Elle fait semblant de ne pas craindre la fin.
Elle tapote des mains lorsque son amour danse devant elle. Sans elle.
Elle voudrait pouvoir faire un dernier ménage avant que son coeur ne cesse définitivement d’essayer de battre. Ou un dernier petit plat.
Elle voudrait…
❥ Il n’y a plus rien.
❥ Il y a cet homme étrange qu’elle a vu en premier, qui lui parlait comme si il la connaissait. Comme si elle aurait dû le reconnaitre.
Une maison inconnue.
Un gros chien qui tentait de lui sauter dessus.
Une bague en argent, comme si, comme si… Comme si quoi ? Qu’est-ce qu’il veut ? Qu’est-ce qui lui prend, pourquoi il a l’air si triste ? Pourquoi ils ont tous l’air si tristes ?!
Pourquoi tout le monde dans le village semble au bord des larmes tout le temps lorsqu’elle arrive, pourquoi on murmure et on se tait lorsqu’elle arrive ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi elle n’arrive pas à se souvenir du moindre prénom alors que tout le monde sait le sien ? Que fait-elle ici ?
Pourquoi, pourquoi… Pourquoi est-ce qu’elle a si mal au coeur tout le temps ?
Elle ne peut pas rester ici, dans la maison colorée qu’elle ne connait pas. Alors elle trouve un lit à l’auberge.
Elle pense que ça va suffire. Que quelqu’un va lui expliquer ce qui se passe, qu’elle pourra avoir le temps de comprendre pourquoi elle est dans une ville qui ne lui dit pas grand-chose mais dans laquelle tout le monde semble connaitre son thé préféré et la taille de ses sandales.
Elle ne peut pas rester ici, parce que personne ne se décide à lui expliquer. Elle va finir folle si elle croise encore une fois un regard de pitié, elle va crier si on lui parle encore du ton que l’on réserve aux grands malades.
Il faut qu’elle parte. Elle avait une famille ailleurs, n’est-ce pas ? De ça, elle se souvient. Un peu. Juste un peu, mais c’est assez pour espérer.
Sa famille pourra l’aider, elle le sait.
Où est la porte pour sortir de ce cauchemar ?
Résumé - Camomille nait aux Pays-Bas dans une famille ni très riche ni très pauvre
- Une fois qu'elle n'est plus un bébé, sa mère commence à se montrer d'abord légèrement abusive, puis carrément abusive
- L'année de ses 16 ans, Camomille fonce vers la porte d'entrée pour espérer s'enfuir de sa vie de famille franchement peu jojo... Et se retrouve à Phymeris
- Elle y rencontre Alistaire peu après son arrivée
- Et fait des efforts pour sortir de sa coquille de traumatisme et aller vers les gens
- Monsieur décide enfin de déclarer sa flamme dans leur vingtaine commune
- Ils vivent la belle vie pendant des années, avec une maison adorable et un gros chien
- Mais le coeur de Camomille n'est pas coopératif et commence à la lâcher. La dégénérescence commence un peu avant sa quarantaine mais n'est prise au sérieux que trop tard par Camomille elle-même
- Il y a un an, elle se réveille dans une maison qu'elle ne connait pas, avec un chien inconnu, un type inconnu, dans un village qu'elle ne connait pas très bien. Elle est amnésique. Et un peu paniquée.
- Mais elle est vivante... Sauf qu'elle ne se souvient pas de sa maladie, c'est bien dommage
- Ne supportant pas de vivre dans ce qui a été sa maison, elle fait ses valises et les pose à l'auberge. Dans les brumes de sa mémoire, elle a vaguement la silhouette d'une famille qui l'attendrait sur Terre et elle se concentre là dessus : elle veut partir du village