esteban x fukaeri
ft. CASTELIANOS Esteban
chapitre premier
À Phymeris réside un petit monsieur.
Petit par sa taille, son dos courbé par les années vagabondes sur les voies hasardeuses de l’existence. Grand par son âge, sa sagesse et son sourire qui n’en finit pas de s’étirer d’émerveillement lorsqu’il arpente les étagères de la bibliothèque, suivant les ouvrages de l’index pour être certain de ne pas en sauter un. L’autre main s’appuie sur une canne magnifiquement sculptée, tac tac tac, qu’elle fait quand il la déplace contre le parquet.
À Phymeris se balade un gentil homme.
Un homme qui en a vu, des choses, tout au long de sa vie. Des évènements qui se mélangent à ses rêves et s’emmêlent dans son passé, son présent, ses volontés. Il s’embrouille parfois quand il parle, et radote souvent d’une visite à l’autre, réglé comme une horloge malgré ses trous mémoriels, c’est une fois par semaine, le jeudi après-midi, qu’il pousse les portes de l’endroit, joyeux sur ses trois jambes, le regard qui pétille à la simple idée de se mettre quelque chose sous la dent.
À Phymeris s’estompe l’existence d’une âme.
Autrefois, il avait une femme. Il ne sait dire depuis combien de temps elle s’en est allée. Avant qu’il n’atterrisse ici, c’est tout ce qu’il sait. Un petit rayon de soleil, cette dame, qui ne manquait jamais de lui taper sur les doigts quand, gourmand et impatient, il chapardait dans la tambouille une lampée trop chaude et se brûlait inévitablement la langue. Débordante d’amour, et de charme, il a parfois l’impression de la voir lorsqu’ils s’asseyent, lui et elle, dans un petit coin du bâtiment, une fois son ouvrage trouvé, et qu’elle lui en lit quelques passages. Un rendez-vous installé naturellement, sans qu’aucun des deux ne le scelle d’une parole, d’une requête, d’un commun accord. Elle l’attend, tous les jeudis, et il arrive en sifflotant, inéluctablement.
À Phymeris la vie suit son cours.
C’est certain, la peau s’assèche et les pensées s’embrouillent de plus en plus. Ce petit bonhomme sans nom n’est pas au meilleur de sa forme, parfois c’est de la tendresse pure qui s’égare dans son regard ; la superposition de sa défunte femme contre l’image de la bibliothécaire est de plus en plus parfaite, bientôt elles ne formeront sans doute plus qu’un. Le passé qui le rattrape, qu’il aime s’y engouffrer tout entier, dans ces belles années de bonheur, chaleureuse jeunesse dorée !
Elle a le cœur qui s’alourdit un peu plus à chaque aurevoir, la brunette, car elle sait que cette histoire aura elle aussi, une fin. Mine de rien, il s’est immiscé dans son quotidien, cet homme et ses souvenirs, ses aventures qui ponctuent chacun des chapitres déclamés – sa vue ne fait que baissée, un fléau autant qu’une bénédiction puisque sans elle, ces moments n’auraient jamais existé. Aujourd’hui, il semblait particulièrement fatigué, c’est cette pensée qui s’impose quand ses yeux le suivent jusqu’à la porte de sortie, tac, tac, tac, tac, tac…
Aura-t-il des gens pour le veiller, lorsque son dernier souffle sera arrivé ?
Difficile de ne pas laisser cette question la suivre sur le chemin menant à l’étagère pour ranger le livre. Un soupir, long, mélancolique accentue le mouvement de ses doigts poussant la tranche du bouquin parmi ses petits copains, et lorsqu’elle tourne la tête ! un sursaut, petit hoquet qui s’échappe suivi d’un rire tout aussi fugace ; pas de bruits de canne pour l’annoncer, ce visage renfrogné qui furète entre les présentoirs. Un retour au réel, tangible, qu’elle accueille avec plaisir, espérant faire fuir le voile mélancolique tombant sur elle.
« Je peux vous aider ? »
DES
MOTS
Raconter des trucs à Giovanni ça il a compris, mais on lui a dit que s'il ne racontait que des histoires similaires tous les jours à base de bateau, de bois et de magie, quand il se réveillera il n'aurait probablement plus que ça à la bouche.
Bien qu'Esteban soit intimement convaincu que ce n'est pas vrai, qu'il n'entend rien parce qu'il dort, parce que Giovanni quand il dort : il dort, il a quand même décidé d'écouter. Parce qu'ici c'est n'importe quoi. Alors cet après-midi, il ne travaille pas, et il va à la bibliothèque pour emprunter quelque chose pour lire à Giovanni.
Ça ne l'enchante pas, il n'a pas envie,
il a le dos courbé et le pas lourd
il soupire, donne des coups de pieds dans les cailloux,
La vérité, c'est qu'il n'a jamais lu un livre en entier de sa vie sauf des ouvrages débiles comme Petit Ours Brun ou encore les aventures folles de Oui-Oui. Même pas pour lui, et les petits ils s'en fichent de savoir s'il inventent des phrases entières ou en loupe quelques-unes.
Il n'aime pas ça lire, parce que quand il lit il bute sur les mots et ça l'énerve quand il lit 3 phrases il a l'impression d'y avoir passé des heures
Il se sent débile, il se sent rougir il se sent palpiter, ils ses veines se remplir et pose souvent les ouvrages avec force sur la surface la plus proche.
Parce que s'il jette par terre, ça sonne un peu comme une défaite
Parce qu'il a du mal à lire, à se concentrer, à être audible, à être clair et apprendre les bonnes intonations
Esteban est dans cette bibliothèque, les points serrés, les sourcils froissés, la bouche asymétrique et se demande comment il va bien pouvoir faire un choix.
Je peux vous aider ?
La dame est douce la dame est élégante. Mais Esteban, ce qu'il se dit, c'est qu'il a l'air d'un con. Tellement con qu'il a l'air d'avoir besoin d'aide. L'aider à quoi ? Prendre un livre ? Il n'a qu'à tendre la main. Prendre le bon peut-être, ça oui, peut-être qu'on peut l'aider.
Oui Il ne sait pas vraiment en quoi il peut aiguiller la dame, ni comment elle peut l'aider précisément Je veux lire un livre à... quelqu'un qui dort.
Il n'en dit jamais trop, mais toujours, on peut en être sûr, il n'en dit pas assez.
ft. CASTELIANOS Esteban
chapitre premier
Lire un livre à quelqu’un qui dort.
C’est presque inhumain, la force avec laquelle elle s’empêche de plisser les yeux face à cette demande. Devant elle, il y a un jeune homme, une boule de nerf prête à exploser si on a le malheur de faire quelque chose de travers. Pas la peine de lui dire, pas la peine de connaître cette énergumène ; elle le sent. Tendu comme un arc, le visage renfrogné, la voix qui crache presque la requête comme un adolescent obligé de présenter ses excuses, il en a gros sur la patate, le noiraud, et il va falloir toute les précautions du monde pour ne pas le faire exploser.
On ne hurle pas dans une bibliothèque. Alors elle hoche la tête, analyse la phrase en un temps record tout en promenant son regard sur l’étagère qu’il zieutait comme une âme en peine dans un pays lointain, aux panneaux indéchiffrables et au réseau inexistant.
Lire un livre. Il n’est pas enchanté par le concept, mais s’il se tient ici, avec son envie de tout ravager tellement il voudrait être partout sauf ici, c’est que quand même, ça lui tient à cœur. Une mission à accomplir ? Quelque chose comme ça. Il faudra donc un livre sympa à lire, pour lui, pour éviter de lui donner l'impression que c’est une véritable corvée, pour qu’il puisse au moins passer un moment pas trop difficile ; et pour l’amusement, on verra si c’est possible dans un second temps.
À quelqu’un qui dort. Là on patauge un peu plus. On nage en eaux troubles et les pupilles qui mitraillent en silence laissent peu de possibilités de creuser un peu plus la question en partant dans tous les sens. Un choix devra être fait, méticuleusement. En partant du principe (et c’est ce qu’elle va faire, car s’il a balancé ces mots là précisément, et pas d’autres, c’est qu’il faut se baser dessus, et pas tenter de les interpréter, pas vrai ?) que la personne dort, on peut légitimement se demander pourquoi. Pourquoi lire un livre à quelqu’un qui dort ?
Ça ne la regarde pas.
La réponse ne doit pas être agréable à formuler.
Ce qui expliquerait la tête de six pieds de long de l’intéressé.
“ Cette personne aime un type d’histoires en particulier ? Ou aimeriez-vous lui en raconter une avec un thème précis ? Il y a un certain nombre de romans d’aventures ici, ça pourrait être intéressant d’en lire à quelqu’un qui dort, pour qu’au moins ces rêves soient divertissants… J’ai quelques récits un peu tirés par les cheveux, d’autres un peu plus portés sur l’horreur, les enquêtes policières… Récemment, on a réussi à mettre la main sur un livre très chouette, sur deux enfants qui atterrissent dans un univers parallèle, avec des chevaliers, des monstres, une révolte des opprimés, et la magie qui s’active par le chant. C’est un peu bizarre dit comme ça, mais il se lit très bien et les dialogues sont très franc-parler. Je ne l’ai pas encore mis en rayon mais je peux vous l’apporter au besoin. ”
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