[TERMINE] I could blow your mind (arsène)

Arsène collectionne cierges et bougies sur de petits étendoirs correctement fixés. Elle les prépare pendant une partie de la matinée, quand la fraîcheur de la rosée rend encore supportables les températures volcaniques de l’atelier qui croule sous les coulis de cire comme lave ébouillantée. Le reste de la journée, Arsène s’occupe, elle dispose les futurs lampions précieusement préparés au milieu des rayons de sa boutique illuminée. Ils sont classés par odre croissant, du plus petit au plus grand, par parfum également.

A l’intérieur du commerce, elle attend patiemment les passants pour se faire un maximum de rubis : les bons comptes font les bons amis. Arsène aime l’argent, la monnaie, les bonnes affaires, se ferrer d’un commerce utile qui rapporte assez pour vivre convenablement dans ce labyrinthe duquel elle ne peut plus s’échapper. L’oeil braqué vers l’entrée, elle remarque que la chevelure étoilée s’agite, les étoiles filantes signalent l’arrivée d’une nouvelle lumière au milieu des piliers de cire arrondis ou angulaires.

- Bonjour. Un rappel à l’ordre. Puis-je vous conseiller ?

Arsène pointe un sourcil au milieu de son visage, sans comprendre la supercherie. Il n’est pas assez tard pour prétendre s’approcher de la nuit. Elle cherche dans ses yeux verts une lueur, une lumière, mais ces iris sont tellement développées qu’elles imitent une mer de néons ultraviolets. Dans ces prunelles artificielles, dans ces yeux qui pétillent, Arsène cherche une éclaircie sans arriver à s’orienter. Les paupières qui embrassent son œil fonctionnel s’entrouvrent à la recherche d’une voie vers la compréhension, mais dans les dédales d’un certain silence, Arsène est plongée dans la confusion.

- Pour votre… Cave ? Je vois.

Non, Arsène ne voit pas.
Elle ne comprend pas ce que cette prétendue Phymérienne fait dans une cave à mélanger jour et nuit.
Phymérienne, parce qu’elle ne connait pas de visage comme celui-ci dans les rayons de Paris, parce qu'elle est curiosité, de ces femmes sorties d’histoires dont elle n’a jamais entendu parler ailleurs que dans ce pays. La curiosité s’enflamme comme à chacune de ses visites passées, mais de mot la cirière est avare, elle laisse la cire faner dans leurs derniers zestes de lumière.
Sans un mot de plus, Arsène préfère se concentrer sur ses rayons plutôt que sur les histoires graveleuses qu’on lui offre dans de curieuses confessions. L’inconnue reste à côté.
A côté de la plaque.
La cirière récupère quelques lots de cierges qu’elle aligne sur le comptoir au milieu de quelques bougies qui flambent à ses côtés : les petites lumières toujours allumées pour diffuser les odeurs rassurantes et hespéridées.

- Avez-vous un parfum préféré ?...

L’enduit odorant est plus coûteux, Arsène n’oublie pas de rentabiliser ses conversations, ses mots, ses paroles.

- Approchez-vous, je vais vous faire sentir les plus douces émanations.

Elle ouvre un coffret contenant diverses fioles étiquetées. Sur les petits papiers qui enlacent les verres, il est écrit à la plume le nom des essences qui odorent les bougies pendant leur confection. Elle tend sa main pour lui faire signe de s’approcher, garde la paume tendue pour le moment sans la ranger en attendant la venue de cette cliente qui rime avec étrangeté, bien que belle créature : Arsène l’a bien remarqué derrière ce visage fermé.

- Nuit bohème, ambre impériale, sable doré, barbade, voile de coton, herbe coupée, fleurs des dunes, poudres de soleil… Et encore d’autres odeurs sont à disposition.

Arsène les connaît toutes par cœur, les jolies formules, les charmantes nominations, mais elle préfère que sa cliente fasse connaissance avec les fumets pour se faire une idée. Elle dispose simplement les nombreuses fioles à sa vue pour qu’elle fasse son choix. Arsène ne compte pas interférer tant qu’on ne le lui demande pas. Elle se contente simplement de préciser que bien qu’elle joue avec la cire, ce n’est pas elle qui s’occupe des parfums : un autre artisan dans le village s’occupe des senteurs diffusées contre les épidermes, au creux des cous, dans les foyers, dans les étreintes enflammées.
La mâchoire s’évapore de gauche à droite, elle signe un refus.

- Ce n'est pas moi qui m’en occupe, c’est le nez du village. Ielle a de nombreuses compositions odorantes. Je lui achète quelques essences pour rendre mes bougies un peu plus… Fancy ? Je ne donc connais pas ses méthodes d’extraction. Je ne peux pas nourrir votre curiosité, je suis plus une littéraire qu’une scientifique, vous savez...

Arsène a laissé les éprouvettes aux âmes amoureuses des sciences, elle a préféré étudier les sciences sociales, l’histoire, l’évolution de l’humanité, les crasses et les fourberies des peuples prêts à s’entretuer. L’histoire compte les morts, évoquent les passages de l’humanité dramatiques : ce n’est pas aussi explosif que les éprouvettes qui bavent, qui crachent de la fumée, mais pour l’historienne c’est bien plus palpitant que les atomes et les coefficients.

- C’est bon, tutoyez moi. Ce n’est pas grave.

Son oeil intacte admire le sourire contre les lippes, mais le sien ne vient pas. Elle abandonne ses codes de politesse pour éviter les trop nombreuses maladresses. Les maladresses, elle ne les compte plus, probablement que l’inconnue est belle, belle comme une reine, une reine maladroite, un peu dans son monde, un peu perchée. C’est un phénomène.

- Ce que je préfère…

Dans ses bras, les cylindres aux parfums ambrés s’additionnent alors que la phrase de l’inconnue revient embrasser ses pensées. Cela rime avec quelque chose qu’elle connaît déjà, un sentiment étrange, une sensation agréable qui viendrait presque la flatter. Elle cesse pendant quelques secondes de bouger avant de lorgner le visage de la native pour lui demander, un sourire retenu au bord des lippes amusées.

- Ambre impérial. Elle comporte  des senteurs : boisée - épicée - fruitée - poudrée. C'est un souffle envoûtant et ambré, célébrant plusieurs facettes épicées, rivalisant avec la douceur de la vanille poudrée… Pourquoi ne pas vous laisser tenter par vos propres désirs ? Voulez-vous penser à moi quand vous les allumerez ? Vous devriez plutôt faire un choix en fonction de vous goûts, si vous n’aimez pas, vous risqueriez probablement de le regretter.

- Mais de quoi parlez-vous donc ?... Nous ne parlions pas de senteur et de bougies ?... Je vois.

Arsène ne voit pas, les mots et les lettres se mélangent pour former une patte dans laquelle l’inconnue est en train de s’emprisonner. Un malentendu, ça en prend la forme indélicate. Pourtant, brille sur les lippes de la sérieuse Arsène un sourire colgate, amusée par les phrases flatteuses qu’elle déchiffre sur les hiéroglyphes de ses paroles douteuses.

- Donc, vous voulez tout de même songer à moi ?... C’est étrange de vouloir songer à une personne que l’on connaît pas.

La cirière assiste au retrait du bouchon et à la démarche fière et élancée. Ses sourcils se froncent devant la scène tout aussi grotesque que le reste. Elle attend patiemment qu’elle fasse un choix déterminé, à croire que la première fiole est à l’image de la première décision : toujours la meilleure. Son oeil intact regarde ses gestes semblables à une bataille ancienne : les doigts plus maladroits qu’un cheval de Troie ne trompe pas une forme de détresse incorrigible dans les gestes.

- Avez-vous besoin d’aide ?

Cela ne convient pas parfaitement à la cirière qui découvre l’effet papillon des ressorts d’une révolution. Ses paupières s’écartent quand le flacon épouse les hanches d’une flamme pour qu’elle fasse une révérence avant de sombrer et s’écoule en cascade avec plusieurs piliers de cire pour les séduire, pour les faire fondre, pour que le commerce s’enflamme sous les danses brûlantes des cierges bousculés dans la foule.

- Merde.

Arsène souffle sur la politesse, elle se précipite vers l’atelier. La porte claque pour refermer la pièce qui se trouve derrière le comptoir. Ses mains tremblantes récupèrent une large bassine qu’elle remplit d’une grosse quantité d’eau. Les flammes peuvent vite se propager et c’est tout son travail qu’elle risque de perdre si elle n’agit pas rapidement : des rubis en péril, une perte de temps. Alors les trombes d’eau semblent mettre une éternité à goûter au fond du récipient remplit totalement. Arsène l'emporte brusquement pour le balancer dans la pièce d’à côté.

Si les flammes se sont éteintes, Natalia a été prise pour cible comme les flammes, comme si sa chaleur allait faire fondre chacune des bougies, mais elle n’est que faite de mèches incendies.
La commerçante pousse un premier soupir : le chaos a volé les mots, les excuses, le pardon. La pièce est trempée, le regard se noie sur la scène. Elle va devoir fermer le temps de ranger, le temps de s'occuper de la cliente trempée. Elle s'avance vers la porte et se glisse sous les étoiles pour tourner le petit écriteau : c'est fermé. Une œillade vers la pyromane, l'air désabusé.

- Je vais m'occuper de vous.

Le sérieux coincé comme un chat dans la gorge.

Le sol est trempé, la cire encore molle se mélange difficilement aux larmes éparpillées, elle durcit quand elle rencontre l’humidité. La chevelure de feu s’est également aplatie et brille comme l’herbe qui accueille la rosée. C’est un joli chaos, mais la boutique ne s’est pas embrasée, le chiffre d'affaires ne va pas baisser pour quelques bougies enflammées, pour quelques braises éparpillées, pour un sceau d’eau qui valdingue, explose en embruns.
Arsène, elle soupire une nouvelle fois :
devant le chaos mi chaud mi froid,
devant les excuses,
devant le joli minois.
La pression cesse d’éblouir sa vision.
Le drame a coulé pour s’épancher d’un résultat inexistant.

- Et bien… Ce n’est pas grave. J’accepte tes excuses, mais ne bouge pas.

Le vouvoiement se meurt aussi rapidement que le bûcher est éttoufé.
Arsène laisse une oeillade sur la jeune femme qui cherche à aider, à rattraper la bêtise, à ramasser les petites bougies, les restes de cires qui collent encore contre le carrelage trempé. Arsène, elle aime l’indépendance, elle aime s’occuper des problèmes, mais elle oublie que les autres sont parfois éclats dans ses requiem. Elle n’accepte guère toute l’aide que l’on cherche à lui offrir, les bêtises à rattraper, alors qu’elle aurait besoin des étincelles que produisent les autres pour se repérer, pour mettre cet ordre qu’elle tient tant à concerver.

La pièce est quittée, elle défait la Hovrath de sa présence pour se joindre à l’autre pièce, à l’atelier. Arsène ramène un bric à brac pas possible d’une pièce à l’autre pour nettoyer la boutique à peine saccagée. Deux allés retour avant de se glisser dans le dos de la native.

- Tu dois avoir froid. Je n’ai pas de quoi te sécher, en attendant…

Ses mains sépérent en deux une couverture duveteuse proprement pliée.
Un parfum lavande enveloppe encore les mailles du textile. Il vient se déployer comme camisole autour de Natalia pour totalement l’envelopper. Elle est grande Natalia, plus grande qu’Arsène qui déploie largement ses bras pour l’enfermer, obligée de voir tout ses contours pour mieux la draper :
dans ce cocon réconfortant,
dans cette masse douillette,
dans la couvrante chaufferette.

Arsène finit face à Natalia, lâche le drap et tire une chaise pour qu’elle puisse s’ asseoir à ses côtés tandis qu’elle prend des ustensiles pour progressivement nettoyer. Natalia, assise à côté, sous sa surveillance, ne fera rien brûler, si ce n’est le silence qui se consume dans les mots de la cirière précautionneuse.

- Tu n’as rien hein ? Tu ne t’es pas brûlée ? J’ai un baume pour les brûlures. Je m’y suis habituée quelques fois, à éteindre les flammes du bout des doigts.

Accroupie vers le plancher, elle incline le bout des doigts abîmés, tandis que son autre main déplace le désastre dans une pelle pour le jeter.

Arsène troque les marchés contre les tâches ménagères. Elle n'aime pas quand les petits morceaux de cire restent collés au carrelage, elle n'aime pas tout ce joli remue ménage. Joli, comme les boucles mouillées de Natalia qui coulent le long de sa nuque. Joli, comme sa chevelure enflammée qui brûlerait toute la cité s'il n'y avait pas de rivières pour l'en empêcher. Joli, comme ce visage trempé dans l'inquiétude chaste mais qui devrait s'éteindre.

Son iris inspecte sa peau abîmée à force d'éteindre les flammes, elle y est habituée, à embrasser les brasiers, à les faire s'éteindre entre ses bras. Que cela soit Sid ou Natalia, elle n'a pas peur de leur chaos, de se brûler, de s'immoler dans le feu festoyant qu'elles instaurent. Puis son oeil doré saisit celui de Natalia pour l'enlacer alors que l'une de ses mains s'ouvre pour cueillir la sienne.

- Ça fait parti de mon travail. Ce n'est pas de ta faute Natalia, ne t'en veux pas pour les bougies.

Plus de peur que de mal,
plus d'eau que de flammes.
A nettoyer, à récurer, à frotter contre le sol. S'est éteint le pseudo drame. Arsène, elle préfère reprend sa main pour terminer de nettoyer, de gratter la cire qui traîne, de tout ranger proprement, de passer un coup de serpillière pour que le sol brille de nouveau. La cirière écoute les paroles de Natalia, de qu'on dit sur cette flamme qui danse au dessus des dégâts. Natalia, elle est de ses flammes périlleuses qui ne cessent de s'arrêter de flotter pour incendier le village de ses pseudo idioties. Pourtant, Arsène, elle ne lui en veut pas, car dans la simplicité de l'ordre, elle ne peut s'émouvoir sans chaos.

- Si tous le monde était constamment calme, qu'il n'entrait pas en conflit, que le chaos n'existait pas, je pense que l'humanité se ferait royalement chier.

Quelques rires amusés. Elle finit ses nombreuses tâches, range le balais et le sceau dans l'arrière boutique. Elle revient quelques secondes seulement après avec une épaisse bougie parfumée : un cylindre au parfum ambré.

- Alors ne t'excuses pas, tant qu'il y a des personnes comme moi qui aiment remettre un peu d'ordre.

Ses doigts viennent glisser la bougie contre les mains de Natalia tandis que ses lippes lui offrent un sourire.

- Je te donne celle-là en attendant. La cire est du genre costaude... En espérant que tu reviennes m'acheter quelques bougies sans risquer de perdre ma marchandise cette fois.